Tatouages polynésien © Mikhail_Kayl - shutterstock.com.jpg
Sculptures Tiki © angela Meier - shutterstock.com.jpg
Galerie Umatatea , Huanine © Laurent BOSCHERO.jpg
Jacques Brel, père spirituel de l'île de Atuona aux Marquises © Laurent BOSCHERO.jpg

Le Tatau ou le tatouage originel

Le mot tatouage nous vient du polynésien tatau, car c’est ici que l’homme blanc l’a découvert. L’art du tatouage était en effet très développé à Tahiti et dans toute la Polynésie, où chaque victoire voyait le corps des guerriers se noircir un peu plus, autant en guise de parure que pour impressionner l’adversaire. Les hommes se décorent presque entièrement le corps – pratique que l’on retrouve dans une moindre mesure chez les femmes. Le tatouage est lié à un rite initiatique, qui fait passer les nouveaux tatoués à l’âge adulte et perdre leur tabu d’enfants. Les tabu ou tapu, constituent un ensemble de règles qui structurent les sociétés polynésiennes, ils sont liés au sacré et à l’interdit et définissent un certain nombre de pratiques et de châtiments. La technique de tatouage était évidemment très rudimentaire à l’origine : on perçait des petits trous dans le derme où on injectait ensuite avec un peigne le noir de fumée, une encre obtenue à partir de l’amande de la noix de bancoul (Aleurites moluccana ou tuitui en tahitien). Interdit par les missionnaires, le tatouage restera clandestin jusqu’au début des années 1980 où il fut réhabilité en tant qu’art à part entière. Aujourd’hui, la majorité des Polynésiens et des Polynésiennes sont tatoués, mais pas de la tête aux pieds. Les tatoueurs contemporains empruntent aux motifs polynésiens traditionnels, faits de spirales, de mosaïques et de figures stylisées évoquant tiki, tortue, poisson… Les motifs marquisiens sont très prisés. Une grande convention internationale dédiée au tatau a lieu chaque année au musée de Tahiti et des Îles ; elle se conclut par les élections de Miss & Mister Tatau.

Un peuple de sculpteurs

Habiles de leurs mains, les Polynésiens forment un peuple d’artistes millénaire. Les îles n’ayant ni minerai ni industrie, les maohi obtiennent les outils et parures dont ils ont besoin dans les ressources présentes : essences rares, corail, nacre, cocotier, etc. La sculpture est l’art majeur en Polynésie, notamment aux Marquises où elle a atteint un très haut degré de qualité. Dans ces îles éloignées, la gravure est à l’honneur. Chaque pierre rencontrée est dotée d’un motif gravé. Les matières sont travaillées avec burin et marteau, ou plus couramment de nos jours avec une fraise dont on change les embouts. La maîtrise de ces outils, les techniques du polissage et lustrage ainsi que le choix des matériaux représentent un savoir-faire ancestral. Pour que cet héritage perdure, il existe donc des écoles de sculpture en Polynésie comme des ateliers de travail de la nacre, parmi lesquels on retient le Centre des Métiers d’art de la Polynésie française à Papeete. Pour admirer les objets qui constituent la culture matérielle polynésienne, rendez-vous sans hésiter au musée de Tahiti et des Îles de la capitale Papeete.

Le tiki est l’œuvre la plus répandue de Polynésie. Cette représentation humaine de la divinité porte sur son visage une expression indéfinissable. Court sur pattes, les coudes sur les genoux, sa grosse tête vous regarde avec des yeux ronds. Les plus grands tikis de Polynésie française font près de 2,50 m de haut et plusieurs tonnes. Mais ils sont bien petits face aux tikis d’autres régions comme les moai de Rapa Nui, ces statues de l’île de Pâques hautéds de 10 m et pesant près de 80 tonnes ! Chaque tiki est doté d’un pouvoir magique, le mana, force surnaturelle apportée par un arioi, le prêtre des rites maohis. On trouve des tikis partout, en pleine jungle comme au milieu d’une avenue, en pendentif ou en poignée de porte. Les plus impressionnants sont ceux taillés en pierre, dans du keetu ou du basalte, que l’on rencontre au hasard d’une balade en forêt, et qui semblent protéger les lieux. Ceux que l’on peut acheter, taillés dans du cocotier, du tou (bois sombre et veiné) ou du miro (bois de rose) mesurent parfois 1 m et sont réalisés avec une précision et une régularité exemplaires. Les plus petits sont taillés en nacre ou parfois en aito, un bois très dur.

Une peinture importée de métropole

La Polynésie française, ses couleurs chatoyantes et ses scènes de la vie quotidienne ont été une grande source d’inspiration pour plusieurs peintres de renom. Le plus connu est bien sûr Paul Gauguin (1848-1903). Souvent seul et rongé par la misère, il vécut à Tahiti de 1891 à 1893, puis de 1895 à 1901. C’est durant cette période qu’il réalisa ses plus belles œuvres, pourtant restées inaperçues jusqu’à sa mort. Méprisé par ses contemporains qu’il dédaignait lui-même, le peintre n’eut qu’une reconnaissance posthume. Gauguin fut l’un des premiers Européens à saisir et à exprimer la quintessence de la civilisation maohi, son hédonisme et sa générosité. Comme Jacques Brel, il choisit Hiva Oa, aux Marquises, pour terminer ses jours. Son héritage reste toutefois complexe pour la Polynésie, notamment pour la réputation sulfureuse qu’il s’y fit et les problèmes que sa pédophilie notoire a engendrés : un trauma social qui n’a jamais été véritablement reconnu par les autorités métropolitaines. Quelques-unes de ses plus belles œuvres sont Poèmes barbares (1896), Femmes de Tahiti (1891) ainsi que Manao Tupapau (1892).

Sans conteste, Paul Gauguin aura eu une forte influence sur les toiles d’Henri Matisse (1869-1954). Ce dernier, formé dans l’atelier de peinture de Gustave Moreau (1826-1898), est d’abord influencé par le pointillisme avant de s’éloigner progressivement des teintes réalistes. Inspiré par ses nombreux voyages au cours desquels il développe sa passion pour les couleurs chaudes et les corps opulents, ce grand amoureux de la lumière parti pour Tahiti dira en 1930 : « J’irai vers les îles, pour regarder sous les tropiques, la nuit et la lumière de l’aube qui ont sans doute une autre densité. La lumière du Pacifique est un gobelet d’or profond dans lequel on regarde. Je me souviens qu’à mon arrivée, ce fut décevant et puis peu à peu, c’était beau, c’était beau, c’était beau ! » Matisse ne séjourne que deux mois et demi à Tahiti et aux Tuamotu (Fakarava et Apataki), et n’y peint qu’une seule toile, mais ce séjour marquera toutes ses œuvres futures. Enfin, évoquons Jacques Boullaire (1893-1976), arrivé en 1937 en Polynésie, grand amateur de la lumière brute des îles qui y réalisera de nombreuses gravures et peintures : portraits d’enfants et de vahinés ou autres paysages tropicaux.

Un art contemporain encore peu représenté

La scène contemporaine à Tahiti peine à émerger. Tout d’abord, il faut dire que les sujets comme les techniques des nombreux peintres que compte l’île sont hérités des maîtres qui y sont passés et peinent à constituer une véritable identité culturelle face à un artisanat et des arts traditionnels très bien développés. Les quelques galeries dédiées à l’art contemporain sont rares et se trouvent essentiellement à Papeete et Raiatea.

La Polynésie française a tout de même vu émerger des figures importantes de l’art contemporain d’Océanie. Ainsi Bobby Holcomb (1947-1991) s’est démarqué par la transdisciplinarité de sa pratique : il excelle aussi bien dans la danse, la musique, que la peinture et le chant. Il fréquente au cours de sa vie mouvementée des personnalités comme Frank Zappa et Salvador Dali. Arrivé en 1976 à Tahiti, il s’installe dans le village de Maeva à Huahine. Holcomb se fait l’ardent défenseur de la culture polynésienne, notamment au sein de la troupe Pupu Arioi, inspiré par les mouvements de contestation sociale de la fin des années 1960, qui se distingue par ses chansons engagées pour le respect de l’environnement aussi bien que par des peintures aux allures naïves. Afin de protester contre les essais nucléaires métropolitains dans les archipels, Bobby Holcomb refusa toute sa vie la nationalité française. Gotz (1964) compte parmi les figures locales à ne pas manquer. Artiste-peintre, il est aussi sculpteur, créateur d’accessoires pour le théâtre et la musique, illustrateur de BD et fervent passionné des tatouages, sur lesquels il a écrit plusieurs ouvrages. Il débarque à Moorea en 1991 et y installe son atelier. Son œuvre est empreinte d’une certaine spiritualité, il dit d’ailleurs lui-même que « derrière le décor, il nous dévoile l’impermanence ».

Du nouvel Éden métropolitain à l’émergence d’une scène photographique polynésienne

La photographie à Tahiti comme dans l’ensemble des archipels polynésiens s’est développée comme un moyen de construire l’image d’un nouveau paradis. Ainsi, les qualités environnementales et les populations maohi indigènes sont utilisées à des fins idéologiques : l’empire colonial français possède des petits joyaux, nouveaux Édens préservés de son développement et qu’il peut maintenant s’approprier. Parmi les photographes dont l’œuvre fut constitutive de l’imaginaire collectif colonial, Paul-Émile Miot (1827-1900), un officier de la marine française originaire des Antilles, s’est distingué par ses travaux sur la Polynésie. Il arrive à Papeete en 1869 puis aux îles Marquises en 1870, à la suite d’une grande expédition qu’il conduit à travers tout l’océan Pacifique, en passant par le Chili et l’île de Pâques. Il réalise en Polynésie une série de photographies, Océanie, qui servira notamment à illustrer Le Tour du monde, nouveau journal des voyages, un hebdomadaire français illustré publié à partir de 1860. Elle compte quelque 57 clichés, des portraits de Tahitiennes des classes supérieures et d’indigènes, des vues des îles, de leurs lagons et de la végétation endémique. Il alimente donc une certaine pratique coloniale de l’ethnographie et participe activement à donner à Tahiti l’image d’un paradis des antipodes. On retrouve aussi en lui la figure de l’ethnographe fortuit, à l’image des marins espagnols qui prirent les premières photographies au sein des tribus amérindiennes au XIXe siècle. La photographie est alors un travail amateur, un hobby de voyageur qui servit pourtant à construire une certaine identité coloniale, à donner leur image aux empires et à leurs peuples conquis. En 1989, le musée d’Orsay lui consacre une exposition intitulée Paul-Émile Miot, photographe de Tahiti et des îles Marquises.

Charles Burton Hoare (XIXe siècle) et sa femme Sophia (XIXe siècle), tous deux originaires de Manchester, ont occupé une place prépondérante de la scène photographique de Tahiti à la fin du XIXe siècle. Lors de leur installation sur l’île à la fin des années 1860, ils fondent un studio de photographie. Les Hoare sont les photographes officiels du protectorat, et ils réalisent les portraits des gens de pouvoir, notamment ceux de la famille royale. Charles décède rapidement et Sophia prend alors les rênes de l’entreprise familiale, qu’elle continue de faire vivre pendant près de trente ans. Elle gagne peu à peu une réputation qu’elle a toujours à ce jour, et se voit notamment attribuer une médaille de bronze à l’Exposition universelle de 1889. Elle réalise de nombreux portraits sur papier albumine de la jeunesse tahitienne ; ils sont d’une grande qualité.

Il existe aujourd’hui peu d’information sur la photographie en Polynésie au cours du XXe siècle, et le médium n’a pris un tournant véritablement artistique qu’au cours des dernières décennies. Ainsi, le festival Hoho’a Nui, créé par l’association F16 en 2010, apporte un nouveau regard sur la photographie en Polynésie. Il permet à des artistes locaux, professionnels ou amateurs, de s’exposer à la Maison de la culture de la Polynésie française de Papeete et au public de découvrir des talents locaux, à l’image du jeune Tahiri Sommer (1994) qui se démarque par un univers onirique autant que numérique, ou de Jalil Sekkaki (1968), photographe de surf qui s’illustre aussi par des scènes dynamiques et colorées du folklore local.

La récente importation du street art

Le développement du street art est très récent à Tahiti. On peut même affirmer que c’est la création du festival Ono’u (joindre les couleurs) en 2014 par une jeune entreprise locale qui a permis à des fresques de voir le jour à Papeete comme dans les îles polynésiennes (à Bora-Bora, Moorea et Raiatea par exemple). Depuis six ans, le graffiti connaît une véritable explosion locale. L’une des œuvres les plus appréciées et réalisée à l’occasion de l’édition 2015 du festival est La Tahitienne Rouge, fruit d’une collaboration entre Seth, globe painter originaire de Paris, et HTJ, un graphiste tahitien lui-même street-artist qui a réalisé des œuvres réputées de Papeete à Raiatea. Une jeune femme endormie, enroulée dans un paréo rouge à motifs blancs, est étendue sur un fond des mêmes couleurs. Les artistes font référence aux paréos traditionnels représentant des hibiscus blancs sur fond rouge. Derrière l’apparente sérénité qui se dégage de la fresque, le motif cache un message politique : un champignon atomique ainsi que le symbole de la radioactivité, perdu parmi les formes traditionnelles, font référence aux essais nucléaires conduits par la France au large de l’archipel. HTJ s’est lui-même illustré sur le bâtiment du Parti Politique de Polynésie avec une grande fresque représentant un tiki, intitulée La Mana Te Nunaa, ou « le pouvoir au peuple ». 

Une autre peinture remarquable est réalisée par l’irlandais FinDac lors de la quatrième édition du festival en 2017. Il s’agit d’un portrait d’une vahiné moderne, Herehia, qui orne un mur aveugle de la rue du docteur Cassiau, à Papeete. Elle est coiffée d’une couronne de nacre et porte, dans chaque main, un oiseau tahitien. Son corps est entièrement peint en blanc, alors qu’autour de ses yeux un maquillage en forme de masque de super héros bleu s’écoule sur ses joues, comme si elle pleurait. Herehia s’inscrit dans une série de portraits réalisés par l’artiste à travers le monde, dans laquelle il représente des femmes telles des super-héroïnes anonymes.

Enfin, une magnifique fresque de l’Australien Fintan Magee a plus récemment vu le jour à Papeete. Lors de l’édition 2019 du festival, il s’empare du mur de la clinique Paofai à Papeete pour réaliser une scène d’étreinte à la mélancolie touchante d’un couple polynésien : Force de la mémoire. L’homme est prostré, il arbore sur son bras gauche un tatau de guerrier, tandis qu’une femme le prend dans ses bras et pose sa tête sur son dos. Le tout est réalisé dans un style photo-réaliste troublant, mais la scène semble fugace, comme un souvenir saisi juste avant qu’il ne s’évanouisse. Une partie des corps se fond dans l’arrière-plan, comme s’ils étaient en train de disparaître. Le site Internet tahitiheritage.pf référence de nombreuses œuvres, auxquelles sont associées des cartes les localisant, bien utile pour tout passionné désireux de s’aventurer dans les rues de Papeete ou de Raiatea.