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Sur les traces de l’Histoire

Datées du VIIIe siècle, les traces de peuplement retrouvées à Koungou sont les plus anciennes de l’île. A cette période, les villages consistaient en des campements dispersés sur la côte, érigés sur des promontoires dominant lagons et mangroves et réalisés en matières végétales. Lieu de peuplement et d’échanges, la côte abrite également d’étonnantes nécropoles. Celles d’Antsiraka Boira, de M’Tsanga Miangani et surtout de Bagamoyo, dont les parties les plus anciennes remontent au Xe siècle, témoignent d’une grande sophistication des rites funéraires et d’une organisation très codifiée de l’espace. Le vaste site de Dembéni abrite, lui, les vestiges d’une des premières constructions pérennes de l’île : un mur de soubassement en pierre corallienne. Dès le XIe siècle, les premières chefferies arabo-musulmanes apparaissent sur l’île et s’accompagnent de la création de villages aux enceintes fortifiées, tels Majicavo ou Acoua, dont le modèle urbain s’organise autour de la mosquée. Les villages végétaux font désormais place aux constructions de pierre.

Durant la période du sultanat, Mayotte connaît une période de faste. Son architecture se fait ainsi le reflet de la richesse du célèbre clan perse des princes shiraziens qui ont investi l’île, tout en y mêlant des influences arabes, swahilies et malgaches, témoignant ainsi de la place de Mayotte comme point de rencontre des grandes cultures de l’océan Indien. La mosquée de Tsingoni, en activité depuis le XVIe siècle, en est le plus beau témoin. A l’origine, la mosquée était faite de blocs de coraux et grès de plage liés par un enduit de sable et de chaux corallienne, avec une charpente de bois de palétuvier et une couverture de chaume. Son plan, composé d’une grande salle de prière séparée de deux bas-côtés par d’imposants piliers, est une grande nouveauté. Le mihrab, niche indiquant La Mecque, est la partie la plus spectaculaire de la mosquée avec ses bardeaux géométriques en relief rehaussés de couleurs, ses cannelures et ses délicates arcatures. Une richesse décorative que l’on retrouve dans les deux tombeaux d’inspiration shirazienne à l’extérieur de la mosquée, et qui impressionnent par leurs murs incrustés de faïence et leurs dômes pyramidaux couverts de corail. Les ruines de la mosquée de Polé et de son puits alimentant le bassin des ablutions, les vestiges de murs maçonnés et colonnes basaltiques du palais du sultan de M’tsamboro, ou bien encore le tombeau du Sultan Andriantsouli à Mamoudzou sont autant de témoins de cette période faste. Fortifiée au XVIIIe siècle, Dzaoudzi abrite, elle, l’essentiel du patrimoine colonial de l’île, dont l’ancienne résidence des gouverneurs de 1846 est le plus célèbre témoin. Cette dernière est un modèle d’ingéniosité et de fonctionnalité. La résidence se compose en effet de 8 maisons en kit de plan carré, avec un étage, une galerie périphérique ou varangue assurant ombre et aération, un toit à 4 pentes dont les débords protègent de la pluie et dont le lanternon faîtier assure la ventilation des combles, et constituées d’une ossature en bois de sapin avec remplissage en maçonnerie de brique assurant une excellente isolation. Seule la maison principale de la résidence, transformée en 1890, possède une ossature métallique dessinée selon les principes de Gustave Eiffel. Erigée sur une plateforme dans l’axe parfait de l’hôpital, cette maison est tout à la fois le témoin d’une planification urbaine inspirée des codes européens classiques, et d’une volonté d’adapter l’architecture au climat de l’île.

Peu connu car en grande partie disparu, le patrimoine industriel lié à l’exploitation du sucre est aussi un important témoin de cette période coloniale. Le village de Dzoumogné en est encore très imprégné avec son petit port de plaisance où subsiste un ancien entrepôt de stockage, la route construite suivant le tracé de l’ancienne petite voie ferrée reliant l’usine à la jetée et bien sûr son collège installé sur l’ancien site de l’usine et dont émerge toujours son imposante cheminée. Non loin de Dembéni, la cheminée de l’ancienne usine d’Hajangoua est encore visible, de même que les vestiges d’un entrepôt et d’un quai d’embarquement au cœur de la mangrove témoignant de la complexité des infrastructures alors mises en place.

Habitat traditionnel

La plupart des villages de l’île sont érigés le long de la côte, sur des promontoires au cœur d’une nature omniprésente. Leur organisation est l’expression d’une hiérarchie définie au sein de la communauté, ainsi que l’expression du pouvoir spirituel. Les habitants demandent en effet conseil au mwalimou (voyant) et au fundi (chef spirituel) afin de déterminer la meilleure localisation, de même que les dates et heures propices à la construction de leur habitation. La case mahoraise est le plus souvent orientée au nord avec l’ouverture principale tournée vers l’est. L’élément de base de cet habitat traditionnel est le shanza, la parcelle de terre battue sur laquelle la case est construite. Cette dernière est délimitée par un mraba, une enceinte réalisée en tressage de raphia ou de feuilles de cocotier. La case, appelée nyumba, est construite sur une ossature de raphia ou de bambou, avec un remplissage en torchis composé de terre et de fibres végétales. Elle se compose de deux pièces ou fuko. La chambre réservée aux hommes, fuko la watru baba, fait face à la rue ; tandis que la chambre réservée aux femmes, fuko la watru mama, communique avec la cour intérieure via une varangue (véranda). Cette cour abrite le grenier de stockage (kanya) et le poulailler, structures de terre et de végétaux sur pilotis, de même que la cuisine et l’espace de toilette et d'ablutions.

Si toutes les cases mahoraises utilisent les matériaux présents en abondance sur l’île (terre, bambou, raphia, cocotier), certaines se distinguent par des traits bien particuliers. La case trotro est ainsi réalisée en torchis de terre sur un treillis de bois ou de bambou, tandis que les murs de la case kripi sont remplis de cailloux liés avec un mortier de ciment sur un treillis de bois ou de bambou. La case buru est, elle, entièrement réalisée en tiges de raphia, alors que la case mtsévé se caractérise par une couverture en feuilles de cocotiers tressés appelée uhandza. Si l’usage de ces matériaux naturels traduit un souci constant de l’environnement, il suppose également un entretien régulier de la case, qui doit être en partie refaite tous les 5 ans, voilà pourquoi la tôle remplace de plus en plus souvent les toits de chaume. Dans tous les cas, la maison mahoraise est la propriété de la femme qui y accueille son époux. Mais auparavant, ce dernier aura fait montre de son émancipation en construisant de ses propres mains son banga, petite case temporaire d’une pièce avec une ossature de bois et des murs en torchis qui se parent de couleurs vives et de nombreux éléments décoratifs destinés à attirer l’attention de la gente féminine. Rien n’est laissé au hasard ! Parmi les plus beaux exemples de cet habitat traditionnel, ne manquez pas : les maisons de cocotier d’Acouoa, celles en terre d’Hamouro, et les bangas colorés de Mtsangamouji. Dépaysement garanti !

La SIM et le boom de la construction

Pour remédier au problème des logements précaires et insalubres qui se multiplient du fait d’une pression démographique constante, la Société Immobilière de Mayotte (SIM), créée en 1977, lance un projet inédit de maisons en accession subventionnées par l’Etat et sans endettement pour des familles modestes qui participeront à la construction. C’est la naissance de la case SIM. Au départ, cette dernière reprend la structure de la case traditionnelle mais en utilisant cette fois des matériaux en dur. Puis, progressivement, de nouveaux formats font leur apparition. Le modèle Cavani possède ainsi 2 pièces communicantes et 2 varangues, tandis que le modèle Bandrélé possède 3 pièces. Avec ou sans shanza, mitoyennes ou isolées, les cases SIM sont multiples. Une fois livrée, la maison est encore à finir. Formé par les Compagnons du Devoir, le propriétaire se charge notamment de l’électricité, des peintures intérieures et du pavement. Pour les peintures extérieures, les habitants peuvent choisir les couleurs sur une palette créée par la SIM en partenariat avec l’artiste-peintre Philippe Girard. Colorées et uniques, les cases SIM sont un des éléments phares du paysage mahorais. Ces cases sont réalisées dans un matériau innovant et précurseur en matière de développement durable : la latérite, terre du sol mahorais, transformée en brique de terre compressée. L’objectif est de limiter au maximum les matériaux importés (le béton est ainsi limité aux fondations et aux éléments de renforcement contre les séismes et cyclones), et de privilégier les ressources locales (maçonnerie de brique sur charpente de bois). Pour répondre à ce boom de la construction, des dizaines de briqueteries sont construites sur l’île. Puis, progressivement, la SIM va diversifier son offre, créant des lotissements parfaitement intégrés à la nature environnante.

Pour réaliser ces lotissements, d’importants travaux d’assainissement sont réalisés, tandis que l’île se dote de nouvelles infrastructures urbaines destinées à améliorer les conditions de vie des habitants (rues pavées, puits, fontaines, lavoirs…) Mayotte se modernise ! Cette omniprésence de la SIM se traduit dans la toponymie des villes et villages qui possèdent tous des quartiers « cent villas » ou des « rues de la SIM ». L’importance de ce patrimoine a été récemment soulignée par l’inscription aux Monuments Historiques des cases SIM du quartier Sharangue de Mamoudzou. Menacées de destruction, elles sont aujourd’hui inscrites dans un projet patrimonial visant à transmettre le savoir-faire mahorais et à souligner les qualités architecturales de cet habitat pensé en harmonie avec la nature. Trévani, Cavani et Bandrélé en possèdent également de beaux exemples. A partir des années 2000, ces modes de construction traditionnels ont progressivement fait place aux matériaux d’importation, le parpaing de béton en tête, dans des maisons beaucoup plus grandes et possédant désormais un ou deux étages, surplombées d’un toit-terrasse. Polychromie des façades, balustrades aux décors moulés ou ajourés, piliers stylisés… : les possibilités décoratives du béton sont multiples. Mais malgré les avantages de ce nouvel habitat, nombreux sont les habitants à en voir aujourd’hui les limites et à désirer combiner ce confort avec les éléments phares de l’architecture traditionnelle : aération, lumière, relation intérieur/extérieur et matériaux naturels.

Renouveau contemporain

Devenue collectivité territoriale en 1976, Mayotte voit se multiplier les édifices publics, qu’ils soient administratifs, hospitaliers ou scolaires. Symboles de l’administration française, les premières mairies sont construites à Bandraboua et Chirongui. C’est en 1989 seulement que les 17 communes de l’île auront une mairie pérenne. Parmi les plus étonnantes, ne manquez pas la belle mairie en pierre de taille de Sada ou la mairie à colombages d’inspiration alsacienne à Koungou ! L’une des grandes figures de l’architecture de cette époque est Léon-Attila Cheyssial, fondateur de l’Atelier Mahorais d’Architecture. Défenseur d’une ethno-socio-architecture, il s’impose des règles strictes : emploi de ressources locales en matière de matériaux (bois, pierre basaltique, brique de terre), main-d’œuvre et savoir-faire ; adaptation au terrain sans recours au terrassement ni à la grue ; adaptation du bâti au climat local et usage d’une polychromie naturelle pour une meilleure insertion dans l’environnement. Objectif : associer enjeux républicains et traditions mahoraises. Léon-Attila Cheyssial a réalisé la plupart des grands édifices de l’époque, parmi lesquels : la Préfecture de Mayotte avec sa façade à la géométrie de pierre, brique et bois ; l’hémicycle du Conseil Général de plan circulaire et entièrement monté en pierre ; le Collège de Tsimkoura, 1er de France à être alimenté par une centrale photovoltaïque, et dont la structure circulaire rappelle les courbes de la Baie des Tortues ; ou bien encore l’ancien hôpital de Mamoudzou dont la pierre de Mayotte et le bois local d’origine sont encore visibles dans la nouvelle structure. En parallèle de ces édifices publics, Mayotte voit également naître de nouvelles mosquées qui ne cessent de se moderniser. Alors que les premières étaient très modestes, reprenant souvent la structure d’une case traditionnelle, les mosquées plus récentes témoignent d’un souci de grandeur permis par les potentialités du béton et qui se traduit notamment par la construction de minarets, jusque-là absents de l’île. Ces derniers font alors figure de véritables phares spirituels dont la blancheur attire tous les regards. Une grandeur qui n’empêche pas une sobriété des plans et des lignes. Parmi les très belles mosquées de Mayotte, ne manquez pas celles de Sada, Pamandzi ou bien encore Kawéni.

Aujourd’hui, beaucoup d’habitations relèvent encore de l’autoconstruction. Voilà pourquoi Mayotte s’est dotée, début 2021, d’un Conseil de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement dont l’objectif est d’accompagner les habitants pour mieux vivre et habiter. Consciente de ses atouts, l’île met également de plus en plus son savoir-faire en lumière. L’habitat traditionnel et la brique de terre ont ainsi été les vedettes des Journées Nationales de l’Architecture d’octobre 2021, auxquelles Mayotte participait pour la première fois ! Le MUMA a de nombreux projets en tête pour mettre en valeur ce patrimoine, et notamment la création d’un grand complexe muséographique dans l’ancienne résidence des gouverneurs de Dzaoudzi. En parallèle, l’île voit se multiplier d’étonnants projets contemporains, à l’image de ceux portés par l’agence Tand’M Architecture, qui est en train de terminer l’Office de Tourisme de Petite-Terre. Ce dernier vous étonnera par son bardage réalisé en écailles de plastique recyclé, sa structure en boîtes liées par une charpente de bois et sa toiture en toile tendue. L’agence a d’autres projets très attendus comme l’Hôtel Stenel à Mamoudzou, la médiathèque de Dzaoudzi ou bien encore le projet Mob’Helios avec sa couverture photovoltaïque permettant la charge des véhicules. Un souci constant de l’environnement que l’on retrouve dans le grand projet d’éco-quartier à Dembéni par l’agence Tekhnê Architectes et Urbanistes. Alors que la ville doit proposer entre 3 200 et 4 600 logements d’ici 2030, l’agence a fait le choix d’un projet où la nature est omniprésente. Mayotte, une île ancrée dans la tradition mais qui regarde vers l’avenir !