MTPA-CULTURE-011.jpg
shutterstock_1720844341.jpg

Passé colonial

Le Fort Frederik Hendrik, dont les puissants vestiges sont à voir sur le site archéologique du Vieux Grand Port, est la toute première construction en pierre de l’île… et le seul témoin laissé par les Hollandais. Les premiers Français qui leur ont succédé vivaient dans des constructions en bois plutôt sommaires. Mais tout cela changea à l’arrivée de Mahé de Labourdonnais, bien décidé à modifier le visage de l’île. Il fournit ainsi main-d’œuvre et matériaux aux colons afin que ces derniers puissent se bâtir des demeures dignes de ce nom, comprenez de grandes bâtisses en pierre de taille aux lignes souvent classiques ou inspirées des styles régionaux français (breton, lorrain…). Le Musée Naval de Mahébourg en est un bon exemple. Mais Labourdonnais souhaitait également créer de véritables villes. En s’appuyant sur les plans de Charpentier de Cossigny, il organisa le développement de Port-Louis et Mahébourg selon un plan en échiquier, rues et avenues se croisant pour former des blocs d’habitation. La ville devait être agréable et fonctionnelle, comme en témoigne le pavement des trottoirs de Port-Louis qui date de cette époque.

Aux Français succèdent ensuite les Anglais qui multiplient d’abord les fortifications. Dominant Port-Louis de sa puissante silhouette en pierre de basalte, Fort Adélaïde en est un bel exemple. Les Anglais dotent également l’île d’un chemin de fer, dont l’arrivée signe aussi celle de l’architecture dite métallique, indissociable des progrès réalisés en matière d’ingénierie. Ils parent les villes de nombreux édifices publics aux imposantes structures de pierre et aux lignes très « européennes », à l’image du Collège Royal ou de la Bibliothèque Carnegie de Curepipe.

La présence des colons européens est également indissociable d’une architecture liée à l’économie. Les grandes plantations nées sous la présence française prospèrent sous la domination anglaise. Jalonnant l’île, les cheminées de leurs usines sont les témoins les plus visibles de cette architecture « industrielle », comme le sont les anciennes usines sucrières, autrefois présentes par dizaines, et dont certaines ont été transformées en centres culturels à l’image de l’adorable Café des Arts (restaurant-galerie exposant les œuvres de l’artiste-peintre Maniglier) et surtout de l’Aventure du Sucre, le plus grand musée de l’île. Mais les vestiges les plus touchants sont à voir à Port-Louis sur le site de l’Aapravasi Ghat, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Il s’agit des ruines d’un centre d’immigration construit en 1849 et destiné à accueillir les travailleurs « engagés » indiens, arrivés en masse pour travailler dans les plantations de canne à sucre après l’abolition de l’esclavage. Les vestiges laissent entrevoir les abris des immigrants, les cuisines, les cabinets d’aisance, l’hôpital et surtout les symboliques 14 marches que devaient gravir les immigrés à leur arrivée. Un site puissant qui aide à comprendre l’histoire complexe de l’île.

Habitat créole

La véritable identité de Maurice transparait dans son architecture « créole », dont les colons employèrent très rapidement les codes. Il faut dire que cet habitat est tout entier pensé pour supporter les contraintes du climat et s’intégrer harmonieusement à la nature. Les grandes maisons de maître dominant les plantations et les superbes maisons des Hauts-Plateaux - construites par les Mauriciens ayant quitté l’air insalubre des villes pour celui plus pur des montagnes - sont assez semblables. Bâties sur un soubassement de pierre permettant d’isoler le plancher de l’humidité – ce dernier étant lui-même percé de petites ouvertures pour permettre une bonne ventilation -, ces maisons possèdent une ossature en bois dont les portes et cloisons sont surmontées de jalousies ou petites fenêtres pour permettre une ventilation maximale. La charpente en bardeaux est, elle, souvent recouverte d’un enduit pour renforcer son étanchéité et suit une inclinaison parfaitement calculée pour l’évacuation des eaux de pluie.

Le salon, au centre, est la plus vaste pièce de la maison, les autres pièces étant placées autour de façon symétrique. Toutes sont construites en enfilade, afin de permettre à l’air de circuler. Par souci de sécurité et de fonctionnalité, cuisine et communs sont placés à part, dans un espace limité de la cour. L’arrière de la maison est l’espace intime uniquement réservé à la famille. En revanche, l’avant est tout entier destiné à l’hospitalité, pilier de la culture créole. Voilà pourquoi s’y trouve l’espace le plus important de la maison : la varangue. Cette véranda couverte à colonnades peut border toute la demeure (la varangue arrière étant uniquement réservée à la famille) ou seulement trois côtés. Ses fonctions sont multiples : elle permet de protéger la maison des assauts des éléments ; elle assure une communication harmonieuse entre intérieur et extérieur laissant pénétrer les senteurs et couleurs des jardins luxuriants ; et surtout elle est l’espace de réception de la maison, d’où sa décoration et son mobilier particulièrement travaillés. Au fil du temps, la varangue a évolué, et de simple galerie à colonnes s’est transformée en galerie à balustrade, puis en véranda vitrée inspirée des jardins d’hiver européens. La décoration est également un élément clé de ces belles demeures. Lambrequins de bois ou de métal travaillés comme de la dentelle, marquises aux lignes élégantes, balustrades à motifs floraux rendent chaque demeure unique. A visiter : le Domaine des Aubineaux, la Maison Eurêka, le Domaine de Saint Aubin et le Château de Labourdonnais.

Il en va de même pour la maison populaire que l’on retrouve en ville. Si elle conserve des éléments des grandes demeures créoles (varangues, disposition des pièces…), elle n’en possède pas moins une identité bien particulière qui passe par une savante dissymétrie, l’emploi de matériaux plus modestes comme la tôle, et surtout par une personnalisation encore plus poussée de la façade qui se pare désormais de couleurs vives et de décorations très stylisées (festons de fer et bois, corniches et marquises aux arabesques et volutes entrelacées…). Ces maisons sont de taille plus modeste car contraintes par la taille de la parcelle appelée emplacement. Certaines donnent directement sur la rue, d’autres possèdent un jardin, ce dernier étant, dans les demeures les plus cossues, agrémenté de kiosques et pavillons et séparé de la rue par une clôture dont le portail est appelé « baro ». Même chose des petites cases créoles que l’on aperçoit partout dans les villages et qui, bien que petites et faites de matériaux humbles (bois, tôle), arborent de belles couleurs pimpantes et de jolies ornementations.

Malheureusement, ce superbe héritage créole tend à disparaître, remplacé par des cases et maisons de béton respectant de moins en moins les principes raisonnés de l’architecture locale…

Métissage religieux

Une autre particularité de l’île est la cohabitation harmonieuse qui règne entre les différentes religions. Avec son imposante silhouette de pierre flanquée de puissantes tours, la cathédrale Saint-Louis de Port-Louis semble presque invulnérable face aux assauts du temps, symbolisant ainsi la foi des catholiques de l’île. Mais la plus photogénique des églises se trouve au Cap Malheureux. Il s’agit de l’église Notre-Dame Auxiliatrice. D’un blanc immaculé faisant ressortir le rouge vif de sa toiture à l’étonnante déclivité, elle se dresse au bord de la mer et se détache sur le turquoise intense du lagon.

La pagode Kwan Tee des Salines est le plus ancien témoin de la présence chinoise. Construite en direction du Nord, les divinités devant faire face à la mer, elle impressionne par sa toiture aux pointes recourbées couverte de tuiles vernissées aux couleurs vives. On retrouve cette même puissance décorative dans les temples hindous et tamouls. Le plus grand temple hindou de l’île se trouve dans le village de Triolet. Il s’agit du temple de Maheswarnath Shiv Mandir dont on admire le puissant dôme et les murs d’un blanc brillant faisant ressortir les délicats motifs floraux colorés. Le temple Tamil Surya Oudaya Sanga, avec ses couleurs chatoyantes et ses dizaines de statuettes, est aussi un immanquable. A Port-Louis, ne manquez pas la Mosquée Jummah, avec sa très belle façade blanche et verte percée d’une superbe porte de bois sculpté et son agréable patio ombragé.

Cet harmonieux multiculturalisme ne se lit pas uniquement dans le patrimoine religieux. En effet, de nombreux quartiers, commerçants surtout, en portent la marque. Port-Louis possède ainsi son Chinatown dont l’entrée est délimitée par un portique à la toiture recourbée typiquement chinoise. De même, les bouillonnants marchés et bazars des grands centres urbains ne sont pas sans rappeler les souks ou marchés couverts des pays arabes.

Effervescence contemporaine

Très attractive, Maurice n’a pu échapper à l’insatiable appétit des promoteurs immobiliers : des hôtels se sont construits partout, Port-Louis, ou du moins ses environs proches, a vu se développer sa Cyber-City ou quartier des affaires à grand renfort de tours, tandis que son front de mer (Waterfront Caudan) s’est transformé en fenêtre un peu surfaite de l’île bien que réussie sur le plan architectural. En parallèle, les villes ont continué à croître de façon anarchique, souvent au détriment d’un patrimoine historique ignoré.

Mais des projets récents ont malgré tout montré qu’il était possible de combiner modernité et ancrage local. Ainsi, l’architecte Jean-Michel Wilmotte a tenté d’apporter une véritable touche d’authenticité au grand resort Anahita via ses très belles villas en pierre de basalte local. De même, la structure de verre et d’acier du terminal passager de l’aéroport international SSR est inspirée des grandes palmes de l’Arbre du Voyageur, tandis que l’Institut Français, avec ses 4 portails représentant chacun une culture locale, abrite des arbres au sein même de sa structure ! Le respect de la nature et de l’environnement est aussi ce qui a présidé à l’élaboration d’un des édifices les plus emblématiques de l’île Maurice : la Mauritius Commercial Bank, vaisseau elliptique tout en transparence réalisé par l’architecte Jean-François Koenig et premier bâtiment vert certifié de l’île.

S’opposant à la prolifération des très énergivores maisons-cubes aux toits plats construites sur des terrains sans végétation, de nombreux architectes comme Jean-François Koenig ou Henriette Valentin promeuvent dans leur réalisation les acquis de l’habitat créole - fraîcheur, ventilation et lumière - et ne manquent jamais de doter leurs créations de la traditionnelle varangue. Henriette Valentin est une figure clé de l’architecture contemporaine dans l’île. C’est elle qui a notamment en charge le développement de la Smart-City Beau-Plan. D’ici à 2030, Maurice va en effet se doter de 11 smart-cities, entités urbaines destinées à apporter une meilleure qualité de vie via des réseaux de transports plus élaborés et des services de qualité, tout en développant une autonomie en matière d’eau et d’énergie. Ces projets ont attiré l’attention de l’Ecole d’Architecture de Nantes qui a installé un campus sur le site de la Smart-City Médine, non loin de Flic-en-Flac. D’ici à 2025, il devrait accueillir pas moins de 5 000 étudiants. Gageons que ces derniers ne manqueront pas d’idées originales et durables pour continuer à faire briller la perle de l’océan Indien !