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Les Franco-Créoles

Cette catégorie compte les Franco-Mauriciens, appelés de nos jours les Euro-Mauriciens. Ce sont les descendants des premiers colons français. Bien qu’ils représentent moins de 2 % de la population, ce sont eux qui possèdent l’essentiel des grands domaines sucriers et qui tiennent en partie les rênes de l’économie (banques et entreprises clefs, notamment). Dans son roman Le Bal du dodo, Geneviève Dormann dresse un portrait acide, parfois excessif, mais très instructif de la communauté franco-mauricienne du début du siècle.

Les Franco-Créoles sont parfois regroupés avec les autres chrétiens, au sein d’une communauté purement théorique nommée la Population générale. Celle-ci comprend les métis et surtout les Créoles, descendants des esclaves africains originaires de Madagascar et du Mozambique, entre autres. Evangélisés au XIXe siècle, grâce notamment à l’action du père Jacques-Désiré Laval, les Créoles représentent environ 25 % de la population de l’île. C’est assurément la communauté la plus pauvre, constituée surtout de pêcheurs, petits agriculteurs et de certains ouvriers. Une grande partie d’entre eux vit dans les villages du sud de l’île et dans les faubourgs situés au sud de la capitale.

Les Sino-Mauriciens

Au contraire des Franco-Créoles, les descendants des immigrants chinois, arrivés pour l’essentiel de Canton pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, sont peu nombreux (environ 3 % de la population), mais jouent un rôle primordial dans la société mauricienne.

A l’origine, ils créèrent sur l’ensemble du territoire des petits commerces où les Mauriciens prirent rapidement l’habitude de faire leurs achats courants. De nos jours, certains d’entre eux se trouvent à la tête de véritables empires agroalimentaires. Leurs enfants partent généralement faire leurs études à l’étranger, et occupent ensuite des postes honorifiques de médecin, pharmacien, ingénieur, avocat, comptable… Ce qui fait aussi craindre une disparition prochaine des petits commerces de proximité non repris par la jeune génération. Cette communauté, petite, mais puissante, est d’une grande contribution au développement économique du pays.

Les Indiens

Les descendants des immigrants indiens représentent plus de 70 % de la population mauricienne et sont séparés en deux communautés distinctes, elles-mêmes largement subdivisées en castes : les Indiens pratiquant les diverses religions hindoues (environ la moitié de la population totale de l’île) et les Indiens musulmans (environ 20 %).

Parmi les descendants des immigrants indiens de religion hindoue, les Mauriciens différencient ceux qui sont originaires de l’Inde du Nord, les Hindous, de ceux qui viennent du Sud, les Tamouls – par abus de langage, car les Tamouls mauriciens sont, eux aussi, de religion hindoue et ne sont pas tous originaires des régions tamoules de l’Inde.

Les Tamouls, minoritaires, sont pour la plupart arrivés dans l’île à l’époque de la colonisation française. Ils faisaient partie de ceux que l’on appelait au XVIIIe siècle les gens de couleur libres, par opposition aux esclaves. Ils étaient artisans (tailleurs de pierre, charpentiers, ouvriers du bâtiment, ébénistes) et s’étaient intégrés à la vie citadine de Port Louis. Leurs descendants furent les premiers à poser les bases d’une petite bourgeoisie de couleur et, de nos jours, les hommes politiques se gardent bien de les négliger dans leurs discours et leurs actions. Sur le plan religieux, les fêtes tamoules de Cavadee, au cours desquelles les fidèles s’enfilent des aiguilles sous la peau, et les marches sur le feu qui ont lieu en janvier et février, sont particulièrement impressionnantes !

Les descendants des immigrants du Nord, les Hindous, sont pour l’essentiel arrivés sous la colonisation britannique alors qu’on engageait des Indiens pour travailler aux champs – période dite de « l’engagisme », de 1829 à 1909. Ils ont conservé une subdivision socio-religieuse en castes. Peu nombreux dans l'île, les membres des deux castes supérieures (celles des brahmanes, appelés marazes à Maurice, et celle, guerrière, des kshatriya, appelée badoudji) sont regroupés sous l’intitulé commun de grands-nations. Ils ont les mêmes revendications et acceptent les mariages mixtes. La caste majoritaire est celle des vaisyas (marchands, commerçants, propriétaires et banquiers) que l’on appelle vaish à Maurice. Même si elle est tacite, la règle veut que le Premier ministre soit issu de cette caste. La caste inférieure des sudras, qu’on appelle à Maurice les ti-nations, est composée de descendants des coolies et constitue en fait le prolétariat. Les sudras travaillent encore dans les champs de canne ou sont employés aux basses tâches. Ayant joué un rôle important dans les luttes sociales qui eurent lieu avant la Seconde Guerre mondiale, les sudras défendent encore leurs intérêts par le biais de lobbies.

Représentant la majorité de la population, les Hindous détiennent invariablement le pouvoir depuis l’indépendance, ce qui complique considérablement la vie politique mauricienne. Les hommes d’Etat doivent en effet prendre en compte, au-delà des différents partis, les revendications des différentes castes, ce qui ne manque pas d’exaspérer les autres communautés de l’île !

Les Indiens musulmans font partie des plus critiques à l’égard du pouvoir. Cette communauté connaît, elle aussi, des disparités sociales : les musulmans originaires de l’ouest de l’Inde (principalement de la région du Goudjerat) étaient commerçants et leurs descendants constituent aujourd’hui la bourgeoisie. Alors que ceux originaires du Bengale travaillaient dans les champs de canne et leurs descendants sont, d’une manière générale, les plus pauvres de la communauté.

Les Ilois, un peuple « effacé »

La dernière communauté de l’île Maurice, celle des Ilois, est la plus petite et aussi la plus récente. Lorsqu’en 1965 sir Seewoosagur Ramgoolam négocia l’indépendance du pays avec les Anglais, ceux-ci exigèrent de conserver les Chagos, un petit archipel situé au nord de Maurice et qui en dépendait. Comme l’Angleterre avait décidé de céder l’usage d’une des îles de l’archipel, Diego Garcia, aux Etats-Unis pour qu’ils puissent y installer une base militaire, les 2 395 habitants des Chagos furent déportés sans ménagement aux Seychelles et à Maurice. Ils y vivent depuis dans un oubli assez général, ponctué, de temps à autre, par des mouvements de revendications justifiés. En 2002 par exemple, le groupe de réfugiés chagos décida d’intenter des procès en dommages et intérêts à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour l’exil forcé de leur île natale, que certains qualifient même aujourd’hui de « crime contre l’humanité ». A force de batailles, ils obtinrent partiellement gain de cause et en 2022 acquirent le droit d’accéder à la nationalité britannique. Quelques Chagossiens ont ainsi pu aller résider en Grande-Bretagne et bénéficier de bourses de formation offertes par le Commonwealth. Depuis, ce dossier très épineux est en bonne voie puisqu'il serait enfin question que le Royaume-Uni restitue l'archipel des Chagos à Maurice et laisse la liberté aux Chagossiens qui le souhaitent de retourner vivre sur leur terre natale.

Langues : créole mauricien et autres langues parlées

S’il n’y a pas vraiment de langue officielle à Maurice, du moins pas dans la constitution, l’anglais est la langue utilisée à l’Assemblée, où le français est aussi toléré. Pourtant, ni l’anglais ni le français n’est la langue la plus pratiquée dans l’île. La plus répandue, celle qui est parlée par toutes les communautés ethniques et sociales confondues, est le créole mauricien ou kreol morisien. Cette dernière est une langue orale, non écrite à l’origine. Mais il en existe une standardisation officielle avec une Akademi Kreol Repiblik Moris et l’élaboration d’un véritable dictionnaire. Langue « maternelle » de très nombreux Mauriciens, le créole est un facteur culturel d’unification.

Ses origines, diverses, sont assez floues. La langue est probablement apparue dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, à l’époque où les Français, qui avaient colonisé l’île, y firent venir des milliers d’esclaves en provenance du continent africain et de Madagascar. Les colons, dont beaucoup ne parlaient pas très bien le français, durent mettre en place un langage véhiculaire pour donner des ordres à leurs esclaves. C’est certainement pour cela que, encore de nos jours, l’impératif est le mode prédominant dans la langue créole. D’ailleurs, il n’existe pas de mots pour dire « s’il vous plaît » et « merci ». Les esclaves s’approprièrent rapidement la langue des maîtres pour pouvoir communiquer entre eux par-delà la grande diversité de leurs origines. Le créole était né et les dialectes africains disparurent rapidement.

Au cours du XIXe siècle, il s’enrichit d’apports indiens quand les émigrants venus des Indes, tout en conservant la pratique de leur langue originelle, durent apprendre la langue couramment utilisée à Maurice. C’est la raison pour laquelle, encore de nos jours, la plupart des Mauriciens parlent minimum 2 langues, souvent plutôt trois, voire quatre ou cinq. Les combinaisons entre le créole, le français, l’anglais et le bhodjpouri (langue indienne) sont d’ailleurs monnaie courante.

Reflétant la pluralité ethnique très spécifique de l’île, le créole mauricien est assez différent des créoles réunionnais, seychellois, antillais et même rodriguais – qui, lui, est beaucoup plus proche du français. En revanche, et il y a là un véritable mystère, il ressemble à s’y méprendre au créole haïtien… C'est un dialecte qui dérive surtout du français auquel il emprunte la grande majorité de son vocabulaire. Il a néanmoins évolué au fil des ans et des brassages ethniques, au point de devenir une langue à part entière avec sa prononciation et ses particularités. Ainsi trouve-t-on en créole des mots qui se prononcent différemment du français, mais qui ont le même sens : c’est le cas par exemple de zardin (pour jardin) ou de manzé (pour manger). En revanche, d’autres mots français existent en créole avec un sens différent : notamment sapé (saper) qui signifie « avoir de la chance » en créole et non pas « ébranler » comme dans l’expression française « saper le moral de quelqu’un ». Le créole recèle également de nombreux archaïsmes : ainsi appelle-t-on un journal une gazet, un stylo une plim (= plume). La grammaire possède elle aussi ses spécificités et se démarque nettement du français : en créole, par exemple, le genre n’existe pas. De plus, les verbes ne se conjuguent pas aux différentes personnes, même si la notion de temps du verbe existe.