La musique traditionnelle

Les premiers musiciens professionnels apparaissent à la cour de Kiev au IXe siècle. Ces skomoroki se distinguent par l’originalité des instruments qu’ils utilisent : le rozhok, instrument à vent, le gusli, à cordes pincées et la volinka, sorte de cornemuse. La conversion de la Russie à l’orthodoxie va conditionner l’histoire de la musique pour plusieurs décennies. Cette dernière, soumise à la loi de l’Église qui ne tolère que le chant et considère tous les musiciens comme profanes, est inexistante. Seul le carillon ne fut pas prohibé, et l’on comprend pourquoi les Russes sont passés maîtres dans l’exercice de cet instrument.

Ainsi, bien que les musiques traditionnelles varient selon régions, elles ont souvent pour tronc commun d’être purement vocales (avec des exceptions ici et là). Sur tout le territoire, on trouve des polyphonies mnogogolossié (« plusieurs voix »), des byliny ou des tchastouchka (poèmes chantés). Plus localement, on entend des chants diphoniques dans la région de l’Altaï, dans l’Oural et en Sibérie on pratique des chants de gorge typiques de la musique mongole et chez les Tatars ou les Kalmouks, on ressent des influences kazakhes. Dans l’ensemble, les musiques traditionnelles et folkloriques ont très bien été préservées au travers des âges et particulièrement valorisées durant l’ère soviétique, car symbole de l’identité russe. Pilier de la culture locale, la musique traditionnelle apparaît régulièrement lors d’événements divers ou de fêtes religieuses. Aussi, on peut en écouter interprétée par de grands musiciens lors du Festival Earlymusic de Saint-Pétersbourg, consacrée à la musique du Moyen Âge et de la Renaissance ou au Théâtre d’Opéra et de Ballet de Iakoutsk très riche en spectacles d’inspiration locale avec danses, chants et instruments traditionnels.

La musique classique

La Russie fait un premier pas vers la musique classique quand, au XVIIIe siècle, Pierre le Grand, désireux d’ouvrir la Russie à l’Occident, introduit des musiciens étrangers à la cour. Cependant, le vrai tournant dans l’Histoire de la musique russe s’opère avec Mikhaïl Glinka (1804-1857) et ses deux opéras : Une Vie pour le tsar (1836) et Rouslan et Ludmila (1842). L’originalité́ de ces opéras est de combiner les mélodies populaires russes aux techniques occidentales de composition. L’Histoire reconnaît dans ces deux œuvres le fondement de la musique classique russe, qui ouvre la voie à l’école symphonique. À partir d’ici, la musique russe va de nouveau être tiraillée entre courants occidentalistes et slavophiles. Alors qu’Anton et Nikolaï Rubinstein créent un conservatoire à Saint-Pétersbourg et un autre à Moscou, s’organise dans les années 1860 un groupe de musiciens slavophiles décidés à défendre la particularité́ de la culture russe. Dans cette mouvance se constitue le groupe des Cinq qui comprend Alexandre Borodine, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Mili Balakirev et César Cui. Ils n’ont d’autre but que de composer une musique spécifiquement russe. Pour cela, ils utilisent tous les ressorts de la culture populaire, des contes et légendes slaves aux diverses mélodies. La musique qu’ils composent est empreinte de tonalités inédites, résultant d’un savant mélange de musique orientale et de couplets populaires russes. Rimski-Korsakov utilise le lourd corpus de contes de fées russes pour écrire ses opéras. Moussorgski fait revivre le poème de Pouchkine Boris Godounov pour composer son célèbre opéra. Parallèlement au groupe des Cinq, s’affirme une personnalité qui va bouleverser la musique : Piotr Tchaïkovski. Donnant à ses œuvres un son particulièrement russe, il a offert au monde quelques pièces d’une rare beauté, dont des grands classiques de l’opéra comme La Dame de Pique et Eugene Onéguine. C’est à la fin du XIXe siècle que la musique russe prend toute son ampleur : ses conservatoires de Moscou et de Saint-Pétersbourg jouissent alors d’un immense prestige.

Puis au début du XXe siècle, trois personnages marquent la scène musicale. D’abord, le pianiste Rachmaninov, qui compose des opéras, des symphonies, des concertos pour piano et développe un style de musique très particulier. Après la révolution, il quitte la Russie et fait une brillante carrière de concertiste à l’étranger. Puis Scriabine qui fait revivre la tradition mystique russe et se fait aussi le précurseur d’un nouveau style : la musique sérielle. Notons aussi l’émergence de Chaliapine, fascinante voix dont la beauté́, l’expressivité et la puissance ont enchanté le théâtre Mariinsky et le Bolchoï. Tous trois sont issus du conservatoire de Moscou. Deux autres grands noms de la musique russe de l’époque sont Stravinski et Prokofiev. Les tournées à l’étranger du danseur Diaghilev rendront très célèbres les ballets du premier, L’Oiseau de feu et Petrouchka. Inclassables et fiévreusement modernes, ses compositions, et plus particulièrement Le Sacre du printemps, feront scandale en Occident.

La révolution emporte d’abord la musique dans un fabuleux élan créatif. L’opéra qui se doit désormais d’être accessible au peuple connaît un essor considérable. C’est à cette époque qu’éclôt le grand nom de cet opéra populaire Dmitri Chostakovitch, avec un chef-d’œuvre, Le Nez (en 1930). Mais dès 1932, Staline reprend la main sur les arts et impose une doctrine esthétique, le fameux « réalisme socialiste ». Désormais, l’artiste crée pour éduquer le peuple et doit associer « forme nationale » et « contenu socialiste ». Chostakovitch et Prokofiev, pourtant compositeurs officiels, sont les premières victimes de ce durcissement idéologique et se voient même accusés par le pouvoir de « culte de l’atonalité, de la dissonance et de la disharmonie ». L’avant-garde est traquée, la création asservie et dans les années 1940 et 1950, la musique occidentale se voit même interdite. En dépit d’une brève relâche pendant le dégel sous Khrouchtchev, la censure et le contrôle d’État reprennent durant le régime de Brejnev. Alors que la composition musicale est sévèrement encadrée, tous les plus grands interprètes sortent des conservatoires russes qui acquièrent alors une réputation invincible. Premiers prix de tous les concours internationaux, acclamés par l’Occident, tous les grands chanteurs et musiciens russes atteignent une perfection qui confine à la légende. L’Histoire se souvient encore du pianiste Sviatoslav Richter ou du violoncelliste Mstislav Rostropovitch. Si cette période soviétique demeure un demi-siècle noir en termes de liberté, il s’avère paradoxalement fécond en chefs-d’œuvre : la Symphonies n7 de Chostakovitch, dédiée à Leningrad, exalte la résistance contre l’envahisseur allemand, sa Dixième se gorge de la terreur stalinienne, le dantesque opéra Guerre et Paix de Prokofiev, est une merveille écrite comme un opus magnum tandis que le magnifique Gayaneh, de l’Arménien Aram Khatchatourian, glorifie la vie paysanne soviétique (une œuvre à l’image de sa carrière passée dans les bonnes grâces du Parti).

La période contemporaine n’est pas exempte de figures révérées dans le classique, bien au contraire. Qui mieux que Valery Guerguiev incarne ce style russe contemporain ? Passionnée et intense, sa direction l’a emmené à la tête des Orchestres philharmoniques de Rotterdam et Munich, l’Orchestre symphonique de Londres ou le Metropolitan de New York. Excellant dans le répertoire russe, il est le visage du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg (deuxième théâtre russe après le Bolchoï̈ de Moscou) à qui il a rendu son prestige. Le voir diriger sur place est une expérience inoubliable (et particulièrement courue). Autre lieu mythique, le Bolchoï est plus qu’un théâtre ou un Opéra en plein centre de Moscou, c’est un temple de l’art depuis 1776. Il est aujourd’hui dirigé par un nom bien connu des mélomanes français – puisqu’il dirige aussi l’Orchestre national du Capitole de Toulouse – le chef russe Tugan Sokhiev. Citons aussi Mikhaïl Pletnev, superbe pianiste menant une carrière de chef d’orchestre de premier ordre et fondateur de l’Orchestre national de Russie. Aussi, de l’infatigable Elisabeth Leonskaja, « dernière grande Dame de l’École soviétique » à Daniil Trifonov, l’étoile montante, la Russie maintient une culture de l’excellence chez ses solistes et continue de fournir une quantité pléthorique de pianistes de renoms tels que Boris Berezovsky, Aleksey Volodin, Nikolaï Louganski, Denis Matsouïev…

Où écouter de la musique classique russe ?

L’autre témoignage de l’impérissable qualité musicale en Russie est incontestablement le niveau d’excellence globale de ses scènes. À l’ombre du Bolchoï ou du Théâtre Mariinsky, d’autres noms moins connus (et moins prisés) proposent des merveilles. À commencer par la Philharmonie de Saint-Pétersbourg. Magnifique maison de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg – le plus vieux de Russie du haut de ses 135 ans – dirigé par le vénérable Iouri Temirkanov, c’est ici qu’autrefois furent inaugurées toutes les symphonies de Chostakovitch. Un inratable. Plus récente (2003), la Maison Internationale de la Musique de Moscou est devenue instantanément un sanctuaire de la grande musique. Un magnifique palais très moderne où voir l’Orchestre philharmonique national de Russie dirigé par Vladimir Spivakov, toujours épatant quand il interprète le répertoire national. Citons aussi, à Ekaterinbourg, un Orchestre philharmonique ainsi qu’un Théâtre d’Opéra et de Ballet de renommée internationale, à Kaliningrad, un Orchestre philharmonique jouant dans une ancienne église de style prussien (concerts de très bonne qualité) et le Théâtre Mariinsky de Primorié, filiale du fameux Mariinsky de Saint-Pétersbourg, accueillant des artistes majeurs de l’opéra et du monde symphonique.

La musique populaire

Impossible d’aborder la musique populaire russe sans parler des bardes. Plus ou moins équivalent des chanteurs de folk américains, les bardes russes sont des auteurs-compositeurs aux textes francs, souvent politiques, s’accompagnant simplement d’une guitare. Étant donné la nature politique de leurs textes, beaucoup de bardes n’ont jamais été autorisés à se produire sur scène durant l’ère soviétique. Si l’un des premiers à devenir célèbre, Alexander Vertinski, entame sa carrière dans les années 1910, les plus illustres apparaissent à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas des fameux Boulat Okoudjava et Youri Vizbor ou de l’artiste culte Vladimir Vyssotski. Principalement connu en France pour avoir été l’époux de Marina Vlady, il a été un des plus grands bardes russes. Politique, très cynique vis-à-vis du régime soviétique, ses cassettes circulent d’abord sous le manteau avant de devenir extrêmement populaires en URSS. Même si son œuvre musicale est interdite, Vyssotski n’est jamais réellement inquiété, et il se dit que même la nomenklatura communiste savait apprécier sa plume. Preuve en est de son statut à part, sa mort donne lieu à la plus grande manifestation non autorisée de l’histoire de l’URSS. Alors qu’un million de personnes assistent à ses funérailles, les autorités du pays ne lui rendent aucun hommage.

L’autre histoire de la musique populaire russe, c’est naturellement celle de la pop music. Si de prime abord, dans les années 1960, l’URSS tente de dresser un mur (là aussi) culturel avec l’Ouest et brouille les ondes de la BBC, la révolution artistique en cours transperce le rideau de fer. Afin de limiter l’influence extérieure, les autorités russes habilitent dès lors certains groupes, baptisés « V.I.A » à se produire et enregistrer leur musique. Certains de ces « artistes d’État » vont connaître un énorme succès comme Vesiolie Rebiata ou Poyushchiye Gitary (surnommée les « Beatles soviétiques ») ou Muslim Magomayev, le « Sinatra soviétique ». Ces derniers ouvrent la porte aux stars des années 1970, les Sofia Rotaru, Valery Leontiev et surtout Alla Pugacheva. Véritable diva soviétique, elle est sûrement la chanteuse russe la plus célèbre dans le pays et hors de ses frontières. Artiste du peuple de l’URSS et habituée des premières pages des tabloïds, Pougacheva est aussi célèbre pour son style unique et sa voix claire et douce. Après la chute du Mur, malgré la grave crise économique et politique que la Russie traverse, le pays continue à être un vivier hyper dynamique pour la pop russe, de nombreux grands succès populaires datant de cette époque. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, l’influence américaine dans la pop russe est palpable, l’industrie change et voit apparaître la « popsa » et ses groupes aux productions pensées pour les ventes, comme les très célèbres Zemfira ou t.A.T.u.

Le rock russe

De Victor Tsoï, icône soviétique à l’hyper populaire Lyube – dont Vladimir Poutine est le premier fan – les Russes adorent le rock. Et par conséquent en produisent beaucoup. L’Histoire du rock russe remonte à la perestroïka. Profitant de ce vent nouveau de liberté, la création locale entre en ébullition et va porter l’explosion de la musique rock. Dès la fin des années 1960, les premiers groupes de rock russe commencent à se constituer. Une première étoile du genre s’affirme en la personne de Iouri Morozov, précurseur du rock russe psychédélique. C’est au début des années 1980 qu’une première scène underground se constitue portée par les mythiques Kino, Machina Vremeni, Nautilus Pompilius, DDT et Akvarium. Boudés par les chaînes de radio et de télévision, c’est par le bouche-à-oreille que ces trésors du rock se font connaître. Rapidement, ces groupes acquièrent un succès international auprès de la jeunesse russe et dans son tourbillon, le rock bouleverse les façons de penser, de vivre et de s’habiller.

C’est à cette époque qu’apparaît, la légende absolue du rock russe, Viktor Tsoï et son groupe Kino. Gorbachev mis à part, s’il n’y avait qu’un nom à retenir de la perestroïka, ce serait probablement celui de Tsoï. Consacré dans le très beau Leto (2018) du cinéaste russe Kirill Serebrennikov, il est sans doute la seule rock star soviétique, dieu vivant et martyr vénéré après sa mort précoce. Toujours aussi populaire parmi les enfants des années 2000, le rock de Kino est une new wave sombre et douce dont les paroles traduisent les interrogations philosophiques et la tristesse fataliste des jeunes de l’époque. En 1990, le groupe remplit le stade Loujniki de Moscou à l’occasion d’un concert mémorable, juste avant que Tsoï ne trouve à 28 ans la mort dans un accident de voiture, entraînant une vague de suicides dans son sillage. Aujourd’hui, la musique de jeunes groupes à succès comme Motorama ou Human Tetris (très cold wave) ou Pinkshinyultrablast (très shoegaze) marchent dans les pas de Tsoï et Leto. Le rock est toujours aussi présent en Russie et le pays dispose de nombreux lieux pour en écouter. Parmi les plus remarquables, le Rock’n’Roll Bar de Moscou est un temple du genre, ouvert en continu sept jours sur sept, où l’on s’amuse très vite, très bien, sur du bon rock. Du côté de Saint-Pétersbourg, le Dacha est un vrai bar de fête célèbre pour ses soirées arrosées et son rock joué très fort. Un incontournable. L’autre très bonne adresse en ville est le Money Honey, plus calme et blues, mais proposant de bons concerts. De passage à Novossibirsk ? Rock City est l’une des boîtes les plus populaires et endiablées de la ville qui invite régulièrement des stars connues du rock russe à se produire sur scène.

La danse

Éluder la danse en Russie, c’est un peu visiter le pays en oubliant un de ses monuments principaux. Si le pays regorge de danses traditionnelles – le Khorovod ou la Troïka en sont de beaux exemples –, il brille depuis des générations par son excellence dans le domaine de la danse classique. Bien que le Bolchoï de Moscou soit aujourd’hui l’emblème national de la discipline, c’est à Saint-Pétersbourg que s’initie le ballet russe, en 1703, sous l’impulsion de Pierre Ier, qui impose les danses européennes. Le Bolchoï de Moscou, lui n’ouvre ses portes qu’en 1825 et restera longtemps le deuxième théâtre après Mariinsky. Très tôt, chorégraphes français et danseurs russes collaborent, mais c’est au XIXe siècle que cette union franco-russe va devenir sacrée lorsque Marius Petipa et Piotr Tchaïkovski s’associent et mettent au monde d’éternels chefs-d’œuvre comme La Belle au bois dormant, Casse-Noisette et Le Lac des cygnes. Réciproquement, le travail à Paris de Serge de Diaghilev, et ses fameux « Ballets russes » composés d’étoiles du Mariinsky, va implanter ici la réputation de la danse russe. Ce n’est qu’un début. Durant l’URSS, le régime soviétique va utiliser l’excellence de sa danse comme vitrine de l’Union. C’est à cette époque que le monde découvre les fabuleux Maïa Plissetskaïa, Mikhaïl Baryshnikov et Rudolf Noureev. Aujourd’hui, le ballet russe a conservé tout son lustre et le même degré d’exigence et demeure un trésor à voir au Bolchoï comme à Mariinsky. S’émancipant doucement, la danse contemporaine commence à trouver sa voie en Russie et de plus en plus de troupes de qualités internationales s’y révèlent. Parmi elles, citons les compagnies du Ballet Moskva ou le Théâtre provincial de danses d’Ekaterinbourg dirigée par Tatiana Baganova. Une bonne occasion pour les voir sur scène est le Festival Dance Inversion de Moscou qui, depuis bientôt vingt ans, est l’événement majeur en matière de danse contemporaine en Russie. Côté danse classique, un rendez-vous incontournable est le Dance Open – le festival international de ballet de Saint-Pétersbourg – puisque s’y produisent non seulement les plus grands danseurs du Mariinsky, du Bolchoï et de toute la Russie, mais aussi du monde entier (Opéra de Paris, American Ballet...).