La peinture russe du Xe au XVIIIe siècle : de l’influence byzantine à l’influence occidentale

Sous l’influence de Byzance, qui touche aussi bien l’art que la religion, l’architecture ou la littérature, la peinture russe est dominée jusqu’au XVIIIe siècle par des thèmes religieux. Suivant des règles strictes, ces œuvres sont souvent le fait de peintres grecs invités à travailler dans le pays, qui ancrent et perpétuent la culture byzantine. C’est avec Pierre le Grand et sa fameuse ouverture européenne que l’art s’émancipe du religieux et renouvelle ses sujets. Installant la capitale à Saint-Pétersbourg, il la coupe des influences culturelles traditionnelles de Moscou afin d’amorcer une nouvelle orientation picturale. Pour cela, il fait venir des peintres étrangers afin de former les artistes russes. S’ouvrant à la peinture allemande, française et italienne, la création russe prend un nouvel essor. Ainsi, une dichotomie se crée entre Moscou, qui devient le sanctuaire de l’art religieux, et Saint-Pétersbourg, où une nouvelle école de peinture naît.

Le XIXe siècle, un siècle émancipateur pour la peinture russe

C’est à partir du XIXe siècle que la peinture russe s’émancipe des modèles précédents pour trouver sa propre voie. À contre-courant de la vogue du néoclassicisme qui met à l’honneur l’art antique de la Grèce et de Rome, une figure se distingue par l’inventivité de ses créations : Alexeï Venetsianov (1780-1847). Ce peintre s’inspire de la vie rurale dont il exprime le charme et la sérénité en représentant de façon bucolique de très belles scènes de genre. Son tableau L’été, représentant une paysanne donnant le sein à son enfant, est emblématique de son thème phare : le parallèle entre le travail de la terre et la maternité. Les deux artistes qui dominent ensuite le deuxième quart du XIXe siècle sont Karl Bryullov (1799-1852) et Alexandre Ivanov (1806-1858). Ces derniers contribuent à façonner un style proprement russe, indépendant des grands modèles étrangers. « Le Dernier jour de Pompéi est le premier jour de l’art russe », s’exclame d’ailleurs un critique devant la toile de Bryullov ! L’artiste acquiert alors une réputation dans tout l’Occident.

Les « ambulants » : naissance de la peinture sociale

Avec la chute de l’Empire russe et l’avènement de l’URSS, la peinture classique sera considérée comme représentative de la décrépitude de l’ancien régime, et comme lui vouée à s’effondrer. De nouveaux canons seront désignés, et c’est la veine réaliste, en parfaite adéquation avec les idéaux soviétiques, qui prendra le dessus. Les peintres réalistes du XIXe siècle seront ainsi remis à l’honneur, à l’instar de Vassili Perov (1834-1882). Ce précurseur exploite des thèmes sociaux comme la pauvreté, la dureté des conditions de travail ou l’alcoolisme. Cette peinture réaliste conduit progressivement à une peinture sociale qui s’incarne dans le mouvement revendicatif des « Ambulants » dont Perov est l’une des figures de proue. On les nomme ainsi, car ils sillonnent la Russie pour éveiller le monde paysan à l’art. L’artiste phare de ce mouvement est Ilya Repine (1844-1930), dont les œuvres les plus remarquables sont Les Haleurs de la Volga (1870-1873), Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie (1880-1891) et Ivan le Terrible tue son fils (1885). Ils font, par leur réalisme cru et l’impression de vie qui s’en dégage, une grande impression sur la Russie de l’époque. On peut admirer nombre de ses toiles à la galerie Tretyakov.

L’art naïf

Le nord de la Russie est doté d’une riche tradition en termes d’art naïf. Nombreux sont ses peintres autodidactes qui ont apporté leur vision et leur interprétation du monde sans suivre les règles académiques. Figurative, cette peinture représente le plus souvent des scènes de genre. La vie paysanne est l’un des thèmes les plus développés par « les peintres naïfs », eux-mêmes issus de ce monde. Parmi les artistes les plus reconnus de cette tendance, il faut citer Efim Chestnyakov (1874-1961) et ses peintures peuplées de personnages aux traits ronds et vêtus à la mode locale. Elles donnent un aperçu touchant de la vie populaire des campagnes pendant la première partie du XXe siècle. On pense aussi à Vladimir Zaznobin (1900-1981), charpentier devenu sculpteur sur bois, dont les statues anthropomorphes et fonctionnelles (ruches, moulins, etc.) sont reconnaissables d’un coup d’œil.

De l’art à visée sociale à l’art pour l’art

C’est à partir de 1885 et jusqu’en 1925 que la Russie connaît une véritable effervescence artistique et rayonne sur la scène culturelle internationale. Le centre de ce bouillonnement est le domaine Abramtsevo (que l’on peut encore visiter aujourd’hui) de l’industriel Savva Mamontov, où se réunit tout le milieu de la peinture, de l’architecture et de la sculpture. C’est là que se développe le courant symboliste, qui influence le monde entier en créant une rupture radicale avec le réalisme. Le folklore national est célébré comme source d’inspiration. C’est un peintre fréquentant Abramtsevo, du nom de Mikhaïl Vroubel (1856-1910), qui rompt le premier avec la tradition de la peinture sociale assise par les Ambulants, donnant alors à la création artistique une ampleur toute nouvelle. Son obsession pour le Diable va faire naître une œuvre à la tonalité fantastique absolument remarquable (voir le Démon assis, 1890, et le Démon terrassé, 1902, tous deux visibles à la galerie Tretyakov). Il sera ainsi, à contre-courant du mouvement de l’art social, le précurseur de « l’art pour l’art ». En 1898, se constitue un groupe d’artistes se revendiquant de l’art pour l’art, la version russe du Jugendstil allemand ou de l’Art nouveau français. Ces derniers cherchent à décloisonner les différents types d’art, théâtre, peinture et littérature. La revue qu’ils créent, Le Monde de l’art, aura une grande répercussion sur les générations futures.

La grande époque de l’avant-garde russe

C’est alors que naît l’avant-garde russe, un moment clé de la création russe. Son précurseur est Vassily Kandinsky (1866-1944) qui oriente sa peinture vers l’abstrait, donnant plus d’importance à l’esprit qu’à la matière. Ses toiles colorées aux formes géométriques rencontrent un succès retentissant, notamment en Europe, où il s’installe. On peut aujourd’hui en admirer plusieurs au Musée russe de Saint-Pétersbourg. On trouve à leurs côtés celles de Kazimir Malevitch, la deuxième grande figure de cette avant-garde. Son fameux Carré noir sur fond blanc (1915), quant à lui exposé à la galerie Tretyakov, préfigure une réelle rupture dans l’histoire de l’art, coupant la création de la représentation du réel pour l’emmener explorer des dimensions complètement inconnues dans les lignes et les matières, ce que Malevitch lui-même appellera le « suprématisme ».

Quant au peintre et sculpteur Vladimir Tatline (1885-1953), il se fait le précurseur du constructivisme. Par ailleurs, Marc Chagall (1887-1985), qui passe la plus grande partie de sa vie à l’étranger, berce ses toiles de tons oniriques. Enfin, Kouzma Petrov-Vodkine (1878-1939) s’inspire de la peinture d’icônes. Il utilise, comme les règles de la peinture d’icônes le prescrivent, des rouges vifs et du doré, symboliques de la divinité, donnant ainsi à ses personnages la même luminosité qu’aux saints iconiques.

Du réalisme socialiste à l’art underground

Avec la révolution, deux tendances apparaissent : les artistes qui acceptent d’appliquer le réalisme socialiste tel qu’il est défini en 1932 et ceux qui choisissent l’exil. Les canons socialistes imposent de représenter la vie des paysans et des ouvriers sous le jour le plus favorable pour montrer l’enthousiasme apporté par la révolution. L’art est l’un des plus grands moyens de propagande de l’État, qui n’hésite pas à le subventionner pour s’en servir afin de donner une dimension visuelle à son idéologie. Le magnifique métro de Moscou, construit dans les années 1930, est symbolique de cette tendance : il doit montrer au monde entier que le socialisme peut faire aussi bien que le capitalisme, aussi nombre d’artistes sont-ils appelés à venir le décorer.

Les artistes qui ne respectent pas les canons sont pour la plupart interdits d’exposition. Mais jusqu’en 1945, il n’y a pas réellement de dissidence picturale ni de scène underground. Avec le dégel initié par Khrouchtchev à partir de 1953 commence une nouvelle période. Les nombreux artistes qui s’opposent aux dogmes du réalisme socialiste proposent une peinture novatrice, voire révolutionnaire. Commence l’époque des expositions d’appartement où l’on montre ces tableaux interdits. À la fin des années 1960, on assiste à une séparation entre l’art officiel et l’art underground, c’est alors la naissance d’une peinture d’opposition dont Ilya Kabakov (né en 1933), Vitaly Komar (né en 1943) et Alexandre Melamid (né en 1945) sont les représentants les plus célèbres. Ils détournent les clichés du réalisme socialiste pour contester une façon de vivre. 1974 est une année phare : les artistes décident d’organiser des expositions publiques dont l’une d’entre elles sera écrasée par un bulldozer.

La photographie, au cœur de l’histoire russe

La photographie, genre très développé en Russie tout au long du XXe siècle, est un excellent moyen de comprendre l’histoire du pays. À ne pas manquer pour découvrir toute la richesse et la variété de ce médium : la Maison moscovite de la photographie. Créé en 1996, ce musée rassemble des chefs-d’œuvre de l’art photographique russe, notamment d’Alexander Grinberg (1885-1979) et Max Penson (1893-1959) chez les pictorialistes, ou encore Alexandre Rodtchenko (1891-1856) et Dmitri Baltermants (1912-1990) chez les réalistes. Mais elle soutient également activement les photographes émergents, en organisant des festivals, concours et expositions temporaires.

Avec la révolution soviétique, c’est bien entendu la photographie sociale et le reportage documentaire qui dominent, à leur apogée dans les années 1920, avec des artistes incontournables comme Rodtchenko. Cette tradition perdure bien au-delà de l’époque soviétique et prend des accents contemporains plus critiques chez les dernières générations, qui cherchent à rendre compte des mutations parfois brutales traversées par le pays. Pour n’en citer que quelques-uns, Alexander Abasa (1934-2005), Yuri Kozyrev (1963), Igor Mukhin (1969) ou Georgy Pervov (1974) sont des figures représentatives du style et de son évolution.

Un art contemporain en développement

Depuis les années 1980, l’art russe, n’ayant plus besoin de correspondre à un modèle ou de s’opposer à lui, cherche sa voie. De ce fait, la création connaît une période creuse jusque dans les années 2000, qui marquent le début d’un renouvellement dans la création locale. Aujourd’hui, la scène artistique se concentre à Moscou, bien que d’autres villes, comme Saint-Pétersbourg, aient aussi leur mot à dire. Le pays compte de nombreux centres d’art contemporain et Moscou abrite depuis l’an 2000 une biennale qui attire un public international croissant. L’impressionnant Garage Museum of Contemporary Art, créé en 2008 par deux philanthropes, est devenu en quelques années une institution de référence en matière de création contemporaine, et a permis de hisser Moscou au même niveau que les autres capitales mondialisées de ce point de vue.

De telles infrastructures, accompagnées des efforts des commissaires et galeristes locaux (comme la galerie Tatintsian), sont un important soutien pour les artistes russes émergents et leur permettent de gagner en visibilité à l’intérieur du pays comme à l’international. Forts de ce soutien institutionnel, ces derniers osent de plus en plus prendre la parole face au pouvoir, malgré une censure qui reste bien réelle. En effet, les rappels à l’ordre sont fréquents, comme en 2014 lorsqu’une exposition de Vasily Slonov (1969), critique des Jeux olympiques de Sotchi, déboucha sur le renvoi du directeur du PERMM qui l’avait programmée, pourtant l’un des musées d’art contemporain les plus importants du pays.

Le street art, une scène de plus en plus dynamique

Le street art est arrivé en Russie à la fin des années 1990, principalement à Moscou et à Saint-Pétersbourg dans un premier temps, avant de se diffuser dans l’ensemble du pays. Loin de se limiter à de petits graffitis à la dérobée, le street art est devenu une véritable culture, avec ses grands maîtres, ses lieux incontournables, ses références et ses rituels. Cette scène s’accompagne de concerts hip-hop ou de breakdance, toute une atmosphère qui participe à l’esprit de communauté et de solidarité des jeunes qui s’y impliquent. Au départ perçu comme une pratique délinquante, le street art se banalise peu à peu et est vu aujourd’hui d’une manière plus positive. Les municipalités ont en effet compris combien il pouvait agir comme un vecteur de lien social et servir à revitaliser et embellir des quartiers vétustes ou marginalisés.

Parmi les « pères » du genre, on peut citer Zmogk (1979), l’un des premiers artistes à utiliser les rues de Moscou comme canevas. Robots électriques, machines futuristes et transformateurs sont des thèmes récurrents de ses travaux colorés et souvent monumentaux, que l’on retrouve aujourd’hui dans le monde entier. New life, l’une de ses dernières fresques qui fut réalisée à l’occasion du festival Urban Morphogenesis à Odinstovo, est très abstraite et principalement constituée d’aplats de couleur ; elle témoigne du tournant plus graphique récemment pris par son travail. Peinte sur le pan d’une gigantesque tour, elle ajoute un peu de légèreté au décor.

Si l’on manque de temps pour partir à la recherche de ces œuvres murales une par une, le Street Art Museum de Saint-Pétersbourg concentre des travaux d’artistes russes et internationaux incontournables. Cette ancienne usine en brique, qui s’étend sur onze hectares, constitue un écrin idéal. C’est bien sûr le point de rendez-vous des passionnés de street art, mais pas seulement, puisqu’elle abrite également un skate-park et organise régulièrement des ateliers, rencontres et DJ sets. Un lieu de liberté et de rencontre incontournable pour la jeunesse locale !