shutterstock_1128185252.jpg
iStock-116057722.jpg

La lutte contre la corruption

Selon l’ONG Transparency International qui publie un indice annuel de perception de la corruption de 180 pays, le Mexique occupe la 126e place mondiale en 2022, et la dernière place des 38 pays membres de l’OCDE. La police est, pour 87 % des Mexicains, l'institution la plus corrompue, suivie des partis politiques et de la justice. La corruption gangrène en effet tout le système socio-économique : passe-droits auprès des administrations, financement illicite des campagnes électorales, impunités… La Banque du Mexique a évalué en 2015 que le coût de la corruption pour les finances publiques (détournements, gaspillage de fonds publics…) représentait 9 % du PIB, soit l’équivalent de 80 % des ressources fiscales nationales ! La lutte contre la corruption a toujours été le cheval de bataille d’AMLO. Lors de ses conférences de presse matinales un brin populistes (les fameuses mañaneras), le président ne manque pas de dénoncer ce fléau qui touche toutes les strates de la société. Parmi les cas récents, trois anciens présidents de la République (Enrique Peña Nieto, Felipe Calderón et Carlos Salinas) ont été mis en cause en août 2020 par l’ancien directeur de Pemex (lui-même accusé), dans des pots-de-vin versés par Odebrecht, le géant brésilien de la construction, contre l'obtention de marchés publics. Seront-ils condamnés un jour ? Les enquêtes se poursuivront sans relâche et les leaders de l'opposition continueront de se retrouver dans le radar de la justice tant et aussi longtemps qu'AMLO restera dans les parages. Ce dernier a par ailleurs bien compris que pour réduire la corruption, il faut s’attaquer d'abord à la pauvreté et aux inégalités sociales. Les disparités sont telles, en effet, qu’il est facile pour un criminel de corrompre un policier pour qu’il fasse disparaître un corps, en lui versant l’équivalent de quelques semaines de salaire.

Réduire la pauvreté et les inégalités

Le Mexique traverse une situation délicate depuis la crise financière de 2008. Selon le FMI, la deuxième économie d’Amérique latine, au bord de la récession en 2019, a vu son PIB augmenter d’environ 6,2 % en 2021, après avoir chuté de 8,4 % en raison de la pandémie. En août 2022, l’inflation globale s’est accélérée pour atteindre 8,62 %, soit son plus haut niveau depuis plus de vingt ans. Si, dans l'ensemble, le plan de relance économique du Mexique en réponse à la crise de la Covid-19 a été efficace et l'économie du pays a progressivement rebondi, la pandémie a poussé des millions de Mexicains dans la pauvreté. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a augmenté de 3,8 millions entre 2018 et fin 2020, pour atteindre 55,7 millions (43,9 % de la population). Selon le rapport de février 2021 du Coneval (organisme national d’évaluation de la pauvreté), la crise économique liée à la Covid-19 pourrait faire tomber 9,8 millions de personnes de plus dans la pauvreté (56,7 % de la population) et 10,7 millions de personnes de plus dans l’extrême pauvreté, c’est-à-dire que plus du quart de la population n’aura pas les revenus suffisants pour manger chaque jour (16,8 % avant la crise). Le gouvernement a fait le choix d’un déconfinement rapide pour enrayer la chute de l’économie et la destruction de millions d’emplois. Près de 60 % des travailleurs mexicains évoluent dans le secteur informel, gagnant leur vie au quotidien et ne bénéficiant d'aucune couverture sociale. Heureusement pour certaines familles, les remesas (argent transféré par la diaspora mexicaine depuis l’étranger, principalement des États-Unis) ont amorti les conséquences de la crise. Elles ont atteint un niveau record en 2021 avec plus de 51,5 milliards de dollars, soit une augmentation de 27,1 % par rapport à 2020 qui établissait déjà un nouveau record historique.

Des cartels incontrôlables ?

Entre le début de la guerre contre les cartels lancée en 2006 et fin 2020, le Mexique a recensé 80 000 disparitions et près de 300 000 morts, dont 35 000 rien qu’en 2020 ! En 2022, le pays occupait la 23e position dans le classement des nations les plus marquées par la violence à l'échelle mondiale. Selon les recherches de l'Institut national des statistiques du Mexique, il y aurait eu près de 32 000 meurtres en 2022, soit 9,7 % de moins qu'en 2021. De surcroit, le taux d'homicide pour 100 000 habitants serait passé de 28 en 2021 à 25 en 2022. Le pays est aussi l’un des plus dangereux pour les journalistes, les femmes, les migrants, ou encore pour les étudiants, comme l’illustre l’affaire des 43 étudiants d’Ayotzinapa « disparus » en 2014 (mettant en cause la police, l'armée et une bande criminelle). La répression militaire contre les cartels a été contreproductive. L’arrestation de grands capos comme « El Chapo » Guzmán, n’a fait que diviser les clans et produire plus de violence. Désormais, ce n’est plus l’État qui fait la guerre aux narcos, mais les cartels qui s’en prennent à l’État quand celui-ci se met sur sa route. L’option du « laisser-faire », comme avant 2006, avec un pacte de non-agression entre groupes criminels et autorités politiques, n’est plus envisageable aujourd'hui, les acteurs locaux étant devenus trop puissants. Les cartels ne se contentent plus du trafic de drogue, ils ont aussi recours à d’autres trafics (traite humaine, bouteilles d'oxygène durant la pandémie !), aux enlèvements, au racket… Alors, comment enrayer cette dynamique ? AMLO a pris le parti de lutter frontalement contre la corruption et la pauvreté, terreau des bandes criminelles. Il a aussi créé une garde nationale, nouveau corps censé être purgé de la corruption. Mais contrairement à l'approche démilitarisée qu'il avait annoncée dans sa campagne pour lutter contre la criminalité, la garde nationale est dirigée par un militaire et bon nombre des recrues sont issues de la police fédérale et de l’armée… Une défaillance criante des institutions censées protéger le citoyen, qui engendre un sentiment général d’impunité, laissant place à tous les excès, y compris au niveau de la petite délinquance : on tue pour un simple téléphone sans être inquiété… Et les armes de guerre arrivent par millions des États-Unis (en cela le voisin du nord est moins réticent à fermer la frontière que pour les migrants qui arrivent dans l’autre sens !). Il va donc falloir du temps au Mexique pour éloigner la jeunesse désœuvrée des cartels, et du temps aussi pour faire le ménage au sein d’institutions profondément infiltrées. Encore une fois, il semble que la lutte contre la corruption fasse partie des armes les plus efficaces pour contrer le pouvoir des cartels.

La question migratoire au cœur des relations Mexique-Etats-Unis

Les relations politiques, économiques et culturelles entre États-Unis et Mexique ont toujours été très étroites. Sur le plan économique, les deux pays sont liés par l'Accord de libre-échange États-Unis, Mexique, Canada (ACEUM), qui a remplacé l'ALENA en juillet 2020. Plus de 80 % de la production mexicaine est exportée aux États-Unis, et on ne parle pas ici des tonnes de drogue (dans le sens sud-nord) et des millions d’armes (dans le sens nord-sud)… Environ 36 millions de Mexicains vivent aux États-Unis (près de 10 % de la population américaine), ce qui en fait la première communauté étrangère chez l’Oncle Sam. Des millions d'autres (et pas seulement des Mexicains) aimeraient les rejoindre, pour fuir la misère et la violence dans leur quartier. Le thème migratoire est un enjeu primordial dans les rapports Mexique-Etats-Unis. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2017, les relations se sont durcies. Celui qui traitait les Mexicains de narcotrafiquants et de criminels a fait construire un mur le long de la frontière et a même demandé au Mexique de le financer lorsqu’il s’est aperçu qu’il n’avait pas le budget pour le réaliser… Au final, le Mexique n'a pas donné un centime, et sur les 735 km de mur édifiés (sur 3 152 km de frontière). Trump a été plus efficace avec ses pressions économiques en menaçant le Mexique d’instaurer des barrières douanières sur les produits mexicains en cas de non-coopération dans la lutte contre l’immigration. Sans marge de manœuvre, vu l’importance du marché nord-américain pour un Mexique déjà mal en point économiquement, AMLO a dû faire stopper les caravanes de migrants, venus par milliers du Guatemala, Honduras ou Salvador. La nouvelle garde nationale a été déployée à la frontière sud (Guatemala) et quelque 200 000 migrants ont été renvoyés dans leurs pays d’origine. Obligé de stopper les migrants pour le compte des États-Unis, le Mexique a tenté de mettre en place des alternatives au tout répressif, avec des aides au développement destinées aux pays centraméricains. L'entrée en fonction du président Joe Biden en janvier 2021 a suscité un sentiment d'optimisme parmi les migrants et a revitalisé la relation entre les deux pays, dont les représentants partagent désormais des valeurs plus similaires. Parmi les premières mesures prises par Biden, on compte la décision d'abandonner la construction du mur frontalier. Biden a également annoncé une réforme migratoire pour régulariser les 11 millions de clandestins présents sur le sol américain (dont la moitié de Mexicains). Il est également disposé à accompagner le Mexique sur les aides au développement en Amérique centrale pour contenir à terme l’exode migratoire. Cependant, à la fin du mois d’août, en 2022, on comptait un peu plus de 2 millions d’arrestations de migrants clandestins en seulement onze mois : un record historique. Ce nombre impressionnant serait dû en partie aux conséquences économiques de la pandémie en Amérique latine.

Un repositionnement du Mexique dans la géopolitique régionale

L’arrivée en décembre 2018 d’un parti de gauche au pouvoir, après trois décennies de politiques néolibérales, aura sans doute des conséquences géopolitiques en Amérique latine. L'une des premières dispositions d'AMLO a été le retrait de son pays du groupe de Lima, une organisation multilatérale créée en 2017 pour trouver une solution à la crise politique au Venezuela. La seconde intervention marquante du pays aztèque a été la proposition d’exil à l'ex-président de Bolivie, Evo Morales, dans la crise post-électorale d'octobre 2019, qui l'avait obligé à fuir le pays. Là encore, en soutenant Morales, le Mexique montre une position opposée à celle de l’Organisation des États américains (OEA). Néanmoins, malgré les fluctuations politiques, AMLO jouit en 2023 d'un taux d'approbation robuste, supérieur à 60 %. À l'aube de la dernière année du mandat d'AMLO, les regards se tournent déjà vers l'élection présidentielle de juillet 2024. Les présidents mexicains ne pouvant briguer un second mandat, le débat se focalise sur la succession. À cet égard, le paysage politique mexicain pourrait connaître une première historique. Claudia Sheinbaum, ex-cheffe du gouvernement de la ville de Mexico, s'est positionnée comme la favorite du parti Morena pour les élections de 2024 avec 39 % des préférences électorales, devançant Marcelo Ebrard, l'ancien ministre des Affaires étrangères, qui a recueilli 26 %. Si les tendances actuelles se maintiennent, Claudia Sheinbaum pourrait devenir la première femme à gouverner le Mexique, un fait sans précédent dans l'histoire du pays. Les prochaines élections s'annoncent donc cruciales pour l'avenir du Mexique et pourraient consolider le parti Morena en tant que force politique dominante du pays. Au-delà de ces enjeux intérieurs, la position du Mexique sur l'échiquier géopolitique régional reste à surveiller, témoignant de la capacité du pays à concilier sa tradition diplomatique avec les exigences d'un monde en constante mutation.