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Le berceau du merengue

Si les Dominicains adorent danser sur une vingtaine de rythmes dont la mangulina, le pambiche, le son, les atabales ou encore le zapateo, le plus célèbre reste le merengue, issu d'un mélange de culture européenne et africaine, dont le rythme est fortement influencé par l'usage de la güira, instrument composé d’une râpe cylindrique en laiton sur laquelle on frotte une raclette. Le merengue est joué également avec tambour et accordéon : cuivres, piano et chœurs seront par la suite ajoutés dans les salons des grandes villes. La danse merengue serait un dérivé de la contredanse, la danse de salon des colons. Elle aurait été transformée en contredanse créole en République dominicaine : plusieurs rythmes africains et techniques de danse y auraient été agrégés au fil des siècles. Longtemps relégué aux campagnes de l'intérieur de l'île, le merengue était dès sa naissance, vers 1850, une musique populaire, et fut mis en exil de la bonne société par le président Ulysse Francisco Espaillat en 1875. Avec le temps, cette musique-danse traditionnelle devint le rythme latino par excellence et le principal rival de la salsa.

De nos jours encore, le merengue se danse souvent dès le plus jeune âge, et en couple. En 1795 déjà, le père Labat, qui arriva en République dominicaine au moment où l’Espagne céda l’île à la France  déclara : « La danse est la passion favorite des Dominicains et je crois qu’il n’y a aucun autre peuple au monde qui y accorde autant d’importance ». Et de fait, plus de deux siècles plus tard, la danse continue d'occuper une place centrale dans la société dominicaine. Considéré comme faisant partie intégrante de l’identité de la Communauté dominicaine, le merengue a même été inscrit en 2016 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Cette danse joue en effet un rôle actif dans beaucoup d’aspects de la vie quotidienne de la population : de l’éducation aux rassemblements sociaux et événements festifs, en passant par les campagnes politiques. En 2005, cette pratique traditionnelle a été reconnue dans un décret présidentiel qui fit du 26 novembre la Journée nationale du merengue. Des festivals dédiés sont organisés dans plusieurs villes de la République dominicaine, notamment à Santo Domingo et à Puerto Plata. Le Festival de merengue de Santo Domingo, fin juillet, attire des milliers de personnes venues des quatre coins du pays venus célébrer cette fête quasi nationale. Fin septembre, place au Festival de merengue de Puerto Plata. Entre-temps, on pourra aller se déhancher au son du merengue dans nombre de bars et clubs de l’île à El Sartén par exemple, petit bar latino de la zone coloniale de la capitale, ou à The Cave, l’une des boîtes de nuit les plus populaires de Santo Domingo.

Comment danse-t-on le merengue ? Tout en exécutant des mouvements sensuels, les danseurs, en couples, tournent en rond au rythme de la musique jouée par les instruments typiques du style tels que l’accordéon, le tambour et le saxophone. Dansé partout et par des personnes venues de milieux sociaux et économiques très différents, on accorde au merengue le pouvoir de contribuer à promouvoir le respect et la coexistence entre les communautés. Si le nord du pays est considéré comme le berceau du merengue, sa zone d'influence est bien plus vaste : de Porto Rico aux Etats-Unis en passant par les Caraïbes, il fait des émules. D’autres pays d’Amérique latine, comme le Venezuela ou la Colombie, ont adopté le merengue dans leur culture et leurs traditions.

La bachata, ou la musica del amargue

C'est au détour des années 1920 qu'émerge la bachata : les premiers documents mentionnant ce terme remontent à 1922 et font alors référence à un type de réunion informelle et festive – généralement dans une cour, à l'ombre d'un grand arbre ou dans la rue – plutôt qu'à un style musical. Mélange de boléro, d'influences musicales d’origine africaine et d’autres sons évoquant le merengue, le cha-cha-cha ou le tango, la musique d'alors est jouée à deux ou trois guitares accompagnées de maracas (aujourd’hui remplacées par la guira) et d’un bongo, bien plus dans le campo dominicain (les zones rurales) que dans les villes. Bien que l'on commence à jouer cette musique dans les bars du pays dès les années 1930, il faudra attendre les années 1960 et la chute de Trujillo pour qu'elle gagne en popularité à l'échelle nationale. Longtemps associée aux couches sociales les plus défavorisées du pays – la bachata est en effet fustigée par les médias et méprisée par la bonne société dominicaine qui considèrent la qualité des textes médiocre, traitant de thèmes liés aux problèmes de couples, au sexe et à la boisson –, des compositeurs comme Luis Dias parviennent à gagner peu à peu les faveurs d'une part grandissante de la population en même temps que le pays s'ouvre au tourisme.

Les musiciens de bachata, boudés par la bonne société, sont contraints de trouver leur propre système de production et de distribution. Dans les années 1990, des musiciens comme Juan Luis Guerra et Víctor Víctor participent à la modernisation de la bachata, proposant une image plus urbaine de cette musique rurale. En 1992, Juan Luis Guerra donne ses lettres de noblesse au genre avec son album Bachata Rosa qui gagne un Grammy Award dans la catégorie des rythmes tropicaux, suivi par Anthony Santos dont la chanson Voy pa’lla connut l’année suivante un succès sans précédent pour ce genre musical. Depuis, la bachata a fait son chemin jusqu’en haut des charts internationaux et le groupe new-yorkais Aventura lui offre la consécration internationale au printemps 2004 grâce à l'album Love and Hate, introduisant le spanglish, espagnol mâtiné de langue anglaise.

Autres styles musicaux dominicains

Bien que merengue et bachata soient les deux styles musicaux les plus populaires, le riche paysage musical national ne saurait s'y résumer. Héritages africains, croyances religieuses et particularismes régionaux sont en effet les ingrédients de base d'un nombre incroyable de styles musicaux et de danses. La baume, le pri pri, la carabine, la chenche matriculado, les danses palos o atabales, la mangulina ou le zapateo dominicain figurent parmi les autres musiques qui se dansent à travers tout le pays.

Grands noms de la musique dominicaine

Le merengue tout comme la bachata, mais aussi la salsa, ont bien évidemment leurs illustres représentants dominicains. Johnny Pacheco (1935-2021) pour commencer, natif de Santiago de Los Caballeros, a été le directeur de l’orchestre Fania All Stars et contribua à donner une envergure internationale à la salsa en la sortant des « ghettos » de New York. Quelques albums sont à retenir comme Best-of Johnny Pacheco, Pacheco y su Charanga ou encore La Crema. Dans la catégorie salsa, Cuco Valoy (1937), qui débuta sa vie de musicien comme percussionniste à l'âge de 11 ans et devint directeur de l’orchestre La Tribu en 1972 mérite d'être signalé. En 1957, il crée le groupe Los Ahijados avec son frère. Plus à l’aise avec les rythmes de salsa que de merengue, il est connu internationalement. Ses enregistrements, ainsi que ses participations à des productions collectives, sont innombrables. Citons quelques disques de l'homme : Lo mejor de la salsa, Dos Tiempos ou encore Juntos otra vez.

Côté merengue, citons Wilfrido Vargas (1949), compositeur en grande partie à l’origine du succès remporté par cette musique à l’étranger. Producteur, il s’occupe de nombreux groupes locaux. Autre grande figure du style, Johnny Ventura (1940), chanteur de merengue né dans la province de Puerto Plata, dans une famille de musiciens. Surnommé El Caballo, il a lui aussi largement participé à l’internationalisation de la musique dominicaine et a été récompensé par de nombreuses distinctions. Son orchestre fut le premier groupe hispanique à se présenter au Palais omnisports de Bercy en France, en 1989. Tenté par les responsabilités politiques, il a été maire de Santo Domingo, pour le Parti révolutionnaire dominicain. Ses créations sont innombrables : El boogaloo esta en algo, El Hijo del Pueblo, El Mamito, El Pinguino, En Acción ! La Protesta de los Feos… Chanteur et musicien né en 1963, Sergio Vargas (1960) est l’une des autres valeurs sûres du merengue. Son orchestre, où l’on travaille en famille, est l’un des plus célèbres du pays.

Né à Saint-Domingue le 7 juin 1957, Juan Luis Guerra est certainement le musicien dominicain le plus respecté de sa génération. Issu d’une famille bourgeoise, il poursuivra des études musicales à l’école Berkeley de Boston. En tant que compositeur et chanteur, il a donné une dimension internationale au merengue, à la tête de son orchestre 4-40. L’album Mientras mas lo pienso marque le décollage de sa carrière, et le hit Ojala que llueva Café le début de la reconnaissance internationale. L’album Bachata Rosa, mêlant le rythme du merengue à celui de la bachata, avec ses paroles lourdes de double sens, devient le plus populaire parmi la jeunesse latino-américaine et obtient un Grammy Award en 1991. En 2010, il remporte un nouveau Grammy Award pour son album A son de guerra. Star sur tout le continent américain, il remplit aujourd’hui les stades et déchaîne les foules. Juan Luis Guerra a par ailleurs été nommé Artiste de l'UNESCO pour la paix en 2008. Pour faire connaissance avec sa musique, les albums Fogaraté! Grandes exitos, Bachata Rosa ou encore Para Ti sont de bonnes introductions.