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Dieu est partout

Gracias a Dios ! Voilà une phrase que vous entendrez souvent, partout et à tout propos. Bien sûr les églises catholiques péruviennes sont plus fréquentées que les nôtres, mais bien au-delà de cela, Dieu est partout ! Dieu ou « Diosito » comme on le surnomme avec tendresse est évidemment un agent du destin qu'il convient de prier et de remercier lorsqu'un but a été atteint. Les rituels religieux comme base solide au fil de la vie humaine sont fortement implantés. Le baptême, la communion, le mariage, les enterrements et messes commémoratives sont autant d'occasions de réunir la famille et d'avancer dans le droit chemin. Ce rapport très spécial à Dieu est presque paternel. La société péruvienne n'est pas exempte de divorces et de très nombreux cas de mères célibataires sont répertoriés, mais il semblerait qu'on puisse s'arranger avec les règles.

Il s'agit davantage d'honorer Dieu, d'exprimer ses croyances et sa ferveur. Beaucoup de bus ou combis par exemple sont sous la protection de saints divers, de Jésus ou de Dieu lui-même au travers d'autocollants ou de stickers qui ne manquent pas de faire sourire les sceptiques voyageurs, néanmoins un surplus de protection n'est pas vain avec ces conducteurs rocambolesques. Il en va de même des célébrations lors de fêtes religieuses qui n'excluent pas ensuite un final fort arrosé : la foi n'empêche pas les débordements. Ce ressenti face à la culture catholique telle qu'elle s'exprime au Pérou est important à garder en tête, car il est aussi une clé pour comprendre certains comportements.

Les valeurs morales qu'impose cette foi parfois de façade semblent être la seule chose à ne pas faiblir. Deux sujets restent fortement polémiques : l'avortement (toujours interdit même en cas de viol) et l'homosexualité. Chaque projet de loi pour la dépénalisation de l'avortement est systématiquement rejeté : une culture de l'hypocrisie soumise aux diktats religieux qui ne bouge que très peu malgré les chiffres (19 % des Péruviennes avoueraient y avoir eu recours avec des praticiens discrets). Sur l'homosexualité, la situation est assez semblable. Elle est tolérée au grand jour, même chez certaines personnalités artistiques ou politiques, certaines stars de TV en jouent d'ailleurs de façon exagérée, mais aucun projet de loi pour un avancement des droits ne se concrétise. La dernière proposition en ce sens datait de 2015, mais l'Union Civil n'a finalement pas remporté la majorité. Les problématiques actuelles de crise politique et économique n'aident pas à ce que le sujet refasse parler de lui. En façade on rejette toute forme de discrimination, mais les sorties de langage sont monnaie courante dans la réalité.

Enfin le courant évangéliste, plus radical, présente une forte attraction parmi les catégories plus pauvres ou plus isolées. Il est notamment présent dans les périphéries des villes et dans beaucoup de communautés amazoniennes. Lors des élections du Congrès en janvier 2020 (suite à la dissolution de Martin Fitzcarra), un parti politique né d'une église adventiste, le FREPAP, a d'ailleurs raflé 8 % des votes et 15 sièges au parlement (sur 73). Le soufflé est ensuite assez vite retombé, mais le conservatisme religieux a toujours de beaux jours devant lui.

Croyances et héritages précolombiens

Une autre particularité des rites religieux péruviens c'est qu'ils mélangent foi catholique et rituels païens ou que certains rituels hérités des époques pré-colombiennes sont toujours vivaces et ancrés dans le quotidien. Avant l’arrivée des Européens, le Pérou comptait de nombreuses cultures auxquelles s'associaient croyances et divinités. Les représentations graphiques et les fouilles archéologiques ont permis (et permettent d'ailleurs encore) d'en apprendre toujours plus sur ces religions polythéistes. Entre 1200 et 1400 av. J.-C., une religion apparut au Pérou autour du culte d'un félin : un jaguar aux formes humaines, avec des serpents en guise de sourcils et de cheveux. Cette religion qui s'est répandue autour du temple Chavín de Huántar, au nord du Pérou, fut pratiquée notamment par les Mochicas. Pour les Chimus, c'est la Lune qui fut reconnue comme la divinité la plus importante, car contrairement au Soleil, elle brille de jour comme de nuit. Les constellations tenaient également une place importante puisque par exemple, la constellation des Pléiades était la patronne de l'agriculture. Les cultes des dieux mi-homme, mi-animaux avaient alors disparu. Enfin, chez les Incas, tous les êtres et toutes les forces de la nature étaient vénérés et on pratiquait pour eux, dans certaines occasions particulières, des sacrifices d’animaux ou d’humains.

De cette richesse, le rituel qui semble le plus ancré est celui de la Pachamama, la terre mère, pour laquelle on continue de pratiquer des cérémonies de remerciements avec feuilles de coca, prières en quechua, petits autels garnis. C'est elle aussi qu'on invoque à débuter un rituel agricole ou une fête de village en versant un peu d'alcool au sol pour la saluer. Pour chasser le mauvais œil on passe sur le corps un œuf cru qu'on brise ensuite pour se débarrasser définitivement de ces énergies néfastes. Dans les Andes, c'est le cuy même qu'on passe pour éloigner les maux. On retrouve aussi des petits personnages porte-bonheur, comme des amulettes pour s'attirer les bons vœux du destin. L'un d'entre eux l'Ekeko est particulièrement présent dans l'Altiplano à cheval entre le Pérou et la Bolivie. Ce mini Dieu de l'abondance exige qu'on s'occupe de lui et charge ses bras de petits cadeaux qui sont le reflet de ce qu'on souhaite voir arriver. Si on le laisse de côté, il est aussi capable de se venger et d'attirer le mauvais œil.

Le cas controversé de l'ayahuasca

L'ayahuasca est un produit issu de la décoction de deux lianes amazoniennes (l'ayahuasca et la chakruna), interdit en France, car considéré comme stupéfiant et hallucinogène. Au Pérou, la plante fait partie du patrimoine culturel de la nation. Pendant des siècles, elle a été utilisée par les ethnies amazoniennes pour dominer leurs ennemis, jeter des sorts et pouvoir avoir accès à un niveau de conscience supérieur. On est normalement chaman par hérédité après avoir soi-même beaucoup pratiqué l'ayahuasca et d'autres plantes médicinales. Il s'agit d'une médecine traditionnelle qui imposait le respect avant de se transformer en business. Le chaman est celui qui prépare le breuvage, mais aussi qui va vous guider lors de votre voyage ou transe par ses chants (les ikaros), et qui est censé vous accompagner ensuite pour comprendre les informations reçues. Les chamans appartiennent souvent aux ethnies shipibo ou ashaninka. On vous proposera désormais de l'ayahuasca même dans les rues de Cusco, mais c'est une plante amazonienne qui résonnera d'autant mieux dans un environnement propice : celui de la jungle. Le processus devrait être accompagné d'une diète avant d'ingérer le produit qui aboutit souvent à de puissants vomissements, pendant et après. Il vaut mieux donc être dans un centre prévu à cet effet et prévoir quelques jours au calme. Prenez votre temps et ne succombez pas aux sirènes qui poussent à la consommation. L'ayahuasca est à la mode et quasiment tous les lodges et guides à Tarapoto, Iquitos et Pucallpa vous le proposent comme une expérience spirituelle extraordinaire. Attention tout de même : trouver un bon chaman serait comme trouver un bon psy chez nous. Il s'agit de prendre des recommandations et de s'y rendre avant de commencer tout processus. Il est essentiel d'être dans une relation de confiance. Le coût moyen d'un séjour dans ces centres se situe autour de 75 à 100 US$ par jour. Une relation de domination face à des personnes en situation psychologique fragile n'est pas à exclure. On déplore malheureusement régulièrement des incidents qui peuvent aller de la manipulation, au viol ou même à la mort en cas de mauvais dosage ou trop grande fragilité. Avancez à pas très prudents.

Un équivalent andin à cette plante serait sans doute le cactus San Pedro dont on propose des sessions sous la pleine lune. Celui-ci est avant tout un hallucinogène puissant, mais ne représente pas le même risque de soumission à un chaman, néanmoins là aussi prudence. Ces plantes à l'époque où elles étaient consommées dans la pratique religieuse étaient réservées à une élite et leur consommation très encadrée. 

La montée en puissances des évangélistes

Depuis les années 1970 un mouvement évangéliste fort constitué de petits églises indépendantes gagne du terrain au Pérou. De 1 % alors, il a atteint plus de 15,6 % en 2017 lors du dernier recensement officiel. Agua Viva, Camino de Vida, Emmanuel, Movimiento Misionero Mundial, Movimiento Evangelístico Misionero sont les noms de quelques-unes des nombreuses églises qui naissent chaque jour, basant leur travail sur la prédication et le discipulat de nouveaux croyants, formant également des réseaux ou des cellules répartis dans les districts de chaque département du Pérou. Le nombre de membres des églises protestantes et évangéliques est estimé à environ 4 millions de personnes. La majorité de cette population est concentrée dans les églises évangéliques indépendantes et plus particulièrement en Amazonie. Il n'est pas rare de voir des petites églises de bois et de tôles bâties avec les deniers des adeptes dans les villages même les plus minuscules. On croise aussi dans les quartiers les plus précaires beaucoup de femmes vêtues de voiles bleus qui appartiennent à l'Asociación Evangélica de la Misión Israelita del Nuevo Pacto Universal​ (AEMINPU), ultra-conservatrice. celle-ci a été représentée par son bras politique, le FREPAP, aux élections législatives extraordinaires du 26 janvier 2020 avec 8 % des voix et 15 représentants (le Congrès ayant été dissous par le Président). Ce Congrès éphémère a été remplacé par celui élu pour 5 ans en 2021 où le FREPAP n'a plus d'élus mais cela a contribué à mettre en lumière une force sociale et politique bien réelle.