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Habitants de l'île Taquile © hadynyah - iStockphoto.com.jpg

Des conditions de vie qui s'améliorent

Commençons par un état des lieux un peu général. Certes, la crise de la Covid-19 va laisser de très profondes empreintes dans la réalité économique du pays et a malheureusement renforcé les exclusions, mais jusque-là le Pérou était un pays qui allait de mieux en mieux si l'on en croit les chiffres. Sans jamais réussir à combler les brèches totalement. La fécondité est par exemple de 2 enfants par femme depuis plusieurs années, très loin des familles nombreuses des générations antérieures. La mortalité infantile se situe autour de 14 ‰. L'espérance de vie affiche une moyenne de 77,2 ans. Même si on est encore loin des niveaux des pays développés, ces chiffres marquent une tendance positive d'une amélioration constante des conditions de vie. Le niveau culturel de la population a augmenté de manière significative, passant d’un taux d’analphabétisme de 40 % en 1961 à 5,2 % en 2021. 

Tous ne sont pas égaux et c'est l'accès aux services qui distingue encore certains Péruviens des autres. L'eau potable est disponible dans 90,6 % des foyers en 2021. Si la téléphonie mobile a explosé avec une couverture de plus du 90 % du territoire, l'Internet peine encore et seuls 48,7 % de la population comptent avec un accès en 2021.

Une forte densité le long de la côte et en ville

Aujourd'hui, sur plus de 33 millions d’habitants, près de la moitié vit dans et aux environs de Lima. La costa, qui compte 58 % de la population totale, cumule une moyenne de 50 à 90 hab./km² dans les villes côtières. Mise à part Lima, 26 villes comptent plus de 100 000 habitants et regroupent 60 % de la population totale. La géographie le long de la côte aide aussi à connecter les villes clés posées le long de la Panaméricaine : Chimbote, Trujillo, Chiclayo, Piura et Tumbes au nord ou Ica, Arequipa, Tacna au sud. Dans ces villes, la vie bouillonne, les klaxons ne dorment jamais et le mode de vie est accéléré. Elles grandissent vite, de façon assez chaotique et donnent l'impression de s'étendre plus rapidement que n'importe quel plan d'urbanisation. La côte péruvienne est bien le centre économique et politique du Pérou. Derrière ces villes plus peuplées, il faut voir aussi un mode de vie plus moderne : des trajets souvent longs entre son domicile et son lieu de travail, des habitants plus connectés aux technologies et à la grande consommation en général, des « malls » à l'américaine à l'extérieur des villes. Un immense bouillonnement, un désordre souvent épique entre des bâtiments d'une modernité rutilante et des vendeurs ambulants postés à l'entrée, c'est tout ça qui définit ce Pérou moderne et immensément majoritaire.

Attention toutefois, ce miroir aux alouettes a engendré pas mal de déçus et de citadins qui peinent à trouver leur place. Lima en particulier est entourée sur les collines qui montent peu à peu vers les Andes de nombreux quartiers populaires très précaires et de ce qu'on appelle ses « asentamientos humanos ». Derrière cette dénomination, on trouve des migrants en majorité de la sierra et plus rarement de la selva, installés parfois depuis plus d'une génération qui ont bâti sur le terrain qu'ils ont trouvé quelques maisonnettes qui sont devenues au fil des années des quartiers à part entière qui sont peu à peu raccordés à l'eau courante, aux égouts, à l’électricité… Ces services basiques de première nécessité ne sont pas présents partout et le phénomène d'invasion de terrains et de constructions informelles se perpétue avec les générations suivantes qui montent de plus en plus haut sur les collines de pierre. On voit souvent le long de ces collines d'immenses escaliers qui permettent d'assurer un chemin pour ceux qui vivent ici. Ce phénomène de périphéries précaires s'observe dans presque toutes les grandes villes de la sierra : Cusco, Ayacucho, Arequipa. Les campagnes se désertifient, les migrants ne vont plus jusqu'à Lima mais s'installent à proximité de la grande ville la plus proche reproduisant un schéma très similaire.

Une spécificité multi-culturelle et multi-ethnique

Ce qui fait la spécificité de la population péruvienne c'est sa pluralité. Originaires d'Europe, d'Asie et d'Afrique, les nombreux migrants des différentes périodes de l'histoire ont en effet fortement favorisé le métissage du peuple péruvien. Dès le XVIe siècle, le processus de colonisation a entraîné la mixité des diverses composantes raciales. Au XIXe siècle, ce sont 80 000 Chinois qui sont arrivés au Pérou, notamment pour travailler dans les plantations de canne à sucre. Aujourd'hui, près de la moitié des Péruviens sont des métis, mi-Amérindiens et mi-Européens. Dans certaines régions du Pérou, particulièrement sur la côte, il existe de nombreux métis d'ascendance africaine. Enfin, les indigènes sont majoritairement situés dans les régions andines, et de fortes minorités, telles les Ashaninkas ou les Aguarunas, sont toujours présentes en Amazonie. On retrouve principalement ce métissage dans la cuisine, fort ciment populaire où le brassage des origines s'exprime le mieux.

Les langues officielles du Pérou sont l’espagnol et le quechua. L’espagnol est parlé par pratiquement toute la population. Près de 4 millions de Péruviens, soit 13,6 % de la population, parlent encore le quechua, principalement dans les Andes. 500 000 personnes, dans la région de Puno, parlent l’aymara, langue qu’ils partagent avec les Boliviens. Mais les langues régionales sont près de 50, des langues natives qui ont survécu principalement dans la jungle. Environ 5 millions de Péruviens ont une langue autre que l'espagnol comme langue maternelle. À ce jour, le Pérou compte 51 peuples autochtones d'Amazonie et 4 des Andes, parlant 48 langues natives. Il existe d'ailleurs une très intéressante base de données des peuples autochtones (BDPI) du ministère péruvien de la Culture, une plateforme en ligne qui répertorie les peuples autochtones au niveau national. Les langues natives longtemps mises de côté sont progressivement valorisées tout comme le double enseignement ; en octobre 2019 une étudiante de l'Université San Marcos, humaniste et fondée en 1551, a soutenu sa thèse en quechua. La chaîne de TV publique, TV Peru, propose d'ailleurs aussi des programmes en langue native. L'arrivée au pouvoir de Pedro Castillo, originaire des Andes du nord et enseignant lui-même profondément attaché à son identité culturelle, ne devrait que renforcer cet état des lieux.

Des peuples autochtones menacés

Derrière cette façade costa, sierra, selva souvent mise en avant, même par la publicité, on trouve justement pas mal de marketing, mais encore trop peu d'une vraie volonté politique pour combler les brèches. Ces trois réalités, ces trois modes de vie sont très distincts et au-delà des images de carte postale d'indigènes fiers de leur culture native, force est de reconnaître qu'ils sont fort peu intégrés dans le paysage. Le diagnostic s'aggrave si l'on évoque les peuples autochtones. Ils seraient 7 000 au total, entre membres des peuples autochtones isolés, présents depuis des siècles et en situation d'isolement pour se protéger, et ceux qui ont établi des contacts éparpillés au fil des forêts amazoniennes dans les régions de Cusco, Madre de Dios, Ucayali, Loreto et Huanuco. « Les peuples autochtones sont confrontés à une violence aux mille visages : d'abord, l'abandon institutionnel et le déni de leurs droits ; et, d'autre part, la violence qui va des menaces, intimidations et harcèlements policiers, en passant par les arrestations et l'emprisonnement, jusqu'aux agressions, expulsions de communautés, violences sexuelles, enlèvements et meurtres de dirigeants autochtones », confiait Mariana Ugarte, responsable des projets Manos Unidas au Pérou au Petit Journal de Lima. « Derrière ces morts se cachent l'exploitation forestière illégale, le trafic de terres, l'exploitation minière, l'agrobusiness, le trafic de drogue, mais le cadre qui accueille tout cela est le même : un modèle économique extractiviste, le centralisme des politiques étatiques et le racisme structurel ». Dans la seule Amazonie péruvienne, pendant la pandémie, il y a eu une douzaine de meurtres de dirigeants indigènes selon les données de l'Institut du Bien Commun. La communauté la plus touchée a sans aucun doute été celle des Kakataibo, avec quatre dirigeants assassinés, dont la principale cause a été le trafic de drogue. En janvier 2020, le chef Kakataibo, Arbidio Meléndez, a informé le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, des menaces que son peuple recevait. Arbidio a été tué deux mois plus tard près de sa communauté. Sans protection juridique et avec l'État occupé ailleurs par la pandémie, les économies illégales fleurissent et la violence augmente dans ces zones de jungle isolées. Une réserve indigène de Kakataibo Nord et Sud vient d’être créée, située dans les régions de Loreto, Ucayali et Huánuco, avec près de 150 000 hectares de forêts, au profit de la protection des droits, de l'habitat et des conditions qui assurent l'existence et l'intégrité des peuples autochtones isolés et en premier contact (PIACI). À ce jour, le Pérou compte 7 réserves indigènes et territoriales, situées dans les régions de Madre de Dios, Cusco, Huánuco, Loreto et Ucayali, qui totalisent un total de presque 4 millions d'hectares de l'Amazonie péruvienne, soit 3,1 % du territoire national.

Le cas spécifique des migrants vénézuéliens

Même si vous n'êtes que de passage il est probable que vous vous rendiez compte de la migration massive de Vénézuéliens au Pérou. Ils fuient le régime de Nicolas Maduro et viennent chercher de nouvelles opportunités de travail. Les chiffres changent constamment, mais ils seraient environ 1,2 million établis sur le sol péruvien en 2021, soit le second pays d'accueil après la Colombie. Moins de la moitié sont munis d'un permis de résidence temporaire et donc de travail. De nombreux autres ne sont pas enregistrés légalement. Dans les rues, ils sont très nombreux à vendre des cafés, des gâteaux ou plats locaux. Ils sont également nombreux à monter dans les bus pour solliciter un geste. La majorité travaille dans les services : chauffeurs de taxis et VTC d'applications, livraisons, restauration, hôtellerie, salons de coiffure... Ils ont la réputation d'une amabilité et d'un sourire à toute épreuve. Vous parviendrez peut-être à déceler un accent légèrement différent. Les Péruviens ne voient pas toujours d'un bon œil cette main-d’œuvre à bas prix qui vient les concurrencer sans parler d'une augmentation des violences de rue et agressions. Plus vulnérables, leur quotidien est souvent très précaire et ils souffrent d'abus de toute sorte du fait de la fragilité de leur situation.

Depuis le 22 juin 2019, le Pérou exige un visa aux citoyens vénézuéliens ce qui a considérablement réduit le flux migratoire, mais la principale frontière située à Aguas Verdes, Tumbes, reçoit toujours de nombreuses sollicitations.