Les cuisines régionales de Turquie

Grande comme une fois et demie la France, avec des voisins aussi divers que la Grèce, la Syrie ou la Géorgie, la Turquie est un pays pluriel tant par ses paysages que par ses cuisines. Culminant à plus de 5 000 m d’altitude, les plus hauts sommets d’Anatolie, couverts de neiges éternelles, s’opposent au littoral méditerranéen baigné de soleil tandis que les côtes verdoyantes de la mer Noire bénéficient d’une pluviométrie exceptionnelle toute l’année. La gastronomie turque pourrait être divisée en cinq grandes cuisines régionales.  
Proche géographiquement comme culturellement de la Grèce, la cuisine de la mer Égée est une synthèse typique du régime crétois avec son abondance de légumes, ses fromages frais, ses poissons et son huile d’olive. Les longs étés chauds et secs et les hivers doux et humides ont paré les côtes occidentales de la Turquie d’hectares d’oliveraies. Les huiles d’olive de cette région sont parmi les plus prisées du pays. L’ail, le thym, le persil, l’origan ou l’aneth assaisonnent une multitude de plats savoureux et sains. Pour ne citer que quelques spécialités, on retrouve par exemple les délicats enginar dolması, une recette d’artichaut garni avec un mélange de riz et de viande hachée. Ou encore les immanquables yaprak sarması, des feuilles de vigne roulées farcies d’un mélange de riz parfumé d’aneth et d’oignon vert généralement froid et relevées avec un trait de jus de citron et un filet d’huile d’olive. Une entrée connue en Grèce sous le nom de dolma.
À l’opposé, la mer Noire possède un climat océanique, doux, mais pluvieux, où les influences sont plus proches de ce que l’on peut trouver en Géorgie ou dans les Balkans. On y cultive ainsi le maïs, le thé ou les noisettes. Les minuscules et délicieux anchois de la mer Noire, connus sous le nom de hamsi, sont adorés des Turcs. On les utilise à toutes les sauces, notamment avec du pain, dans des ragoûts, avec du riz et de bien d’autres façons. Parmi les spécialités les plus appréciées on observe l’immanquable mıhlama – ou kuymak –, une riche fondue de fromage à la farine de maïs, ressemblant à une sorte de polenta, en beaucoup plus gras. Le hamsi pilavı est un plat très surprenant de riz épicé entouré d’une couche d’anchois, le tout étant cuit à la poêle comme une sorte d’épaisse galette. Le karadeniz pidesi, un pain plat allongé garni de viande et d’omelette, n’est pas sans rappeler le plat macédonien appelé pastrmajlija, à la seule différence qu’en Turquie le porc est évidemment remplacé par du bœuf.
L’Anatolie centrale – qui compte entre autres la capitale du pays, Ankara, ainsi qu’une bonne partie du territoire turc – est le grenier à blé du pays. Les variations extrêmes de température entre les étés chauds et secs et les hivers neigeux expliquent les techniques de conservation développées dans la région.
Les viandes rôties – comme le fırın kebabı, du mouton grillé au barbecue – ainsi que les légumineuses, les fruits secs et le boulgour constituent une cuisine riche. Le tarhana, préparé à partir d’un mélange séché de yogourt fermenté et de farine, est très utilisé en hiver notamment pour préparer des soupes nourrissantes. Konya est également le foyer de l’ordre soufi mevlevi, qui a ses propres traditions culinaires. Le keşkek est un ragoût traditionnellement servi lors des mariages, à base de blé, d’orge et de viande. C’est un plat très ancien qu’on retrouve sous d’autres formes en Iran, en Europe de l’Est ou en Grèce.
Des magnifiques monts Kaçkar au mythique Ararat, le point culminant du pays avec ses 5 137 m, l’Anatolie de l’Est est indéniablement une terre rude où les légumes et les fruits sont difficilement cultivables. En conséquence, les plats à base de céréales et de viande sont plus communs. Les hivers sont longs et froids, permettant de préserver des viandes séchées. La région de Kars est réputée pour son oie rôtie, viande assez rare dans le reste du pays. Le cağ kebabı est une recette de mouton grillé à la broche.
L’Anatolie du Sud-Est et la Méditerranée s’ouvrent sur la Syrie, le Liban et Chypre. Les influences s’y font plus orientales. Les nombreux plats de légumes, de viandes, de poissons et de légumineuses sont parfumés de piment rouge, de paprika, de cumin, de menthe et de sumac, une épice rouge sombre à la saveur aigre. Le miel, les fruits à coque et les agrumes parfument les desserts. Cette région possède une des cuisines les plus diversifiées de Turquie avec par exemple le beyran, une soupe pimentée à base d’agneau, de légumes et de riz longuement mijotés. On peut également déguster le büryan kebabı, de l’agneau cuit sous terre ou, plus surprenant, le perde pilavı, une sorte de tourte garnie de riz épicé aux fruits secs. Les baklavas de la région sont réputés pour être les meilleurs de Turquie.

L’art du mezze

Comme les tapas en Espagne ou les antipasti en Italie, le mezze est l’un des piliers de la cuisine turque. Il se présente sous la forme d’un assortiment de petits plats variés, froids ou chauds, où le salé, le sucré et le pimenté se mêlent délicieusement. Ils sont servis au début d’un repas en entrée et forment même un repas complet quelquefois. Le mot « mezze » vient de l’arabe et est également un élément majeur de la cuisine du Levant (Liban, Syrie, Palestine) et se retrouve aussi en Grèce, en Arménie et dans certains pays des Balkans. Cet apéritif, parfois dînatoire, est traditionnellement servi sur un sini, sorte de grand plateau rond en laiton ou en cuivre, placé sur une table basse. Verres, serviettes, couverts sont placés directement dessus.
Parmi les plats froids on retrouve le cacık (yaourt au concombre et à l’ail), le pastırma (viande de bœuf séchée), le beyaz peynir (fromage proche de la feta), l’ezme (émincé de tomate avec concombre et oignon), l’acuka (crème de noix au piment), le patlıcan ezmesi (caviar d’aubergine), les fasülye pilaki (haricots blancs en sauce tomate), le kısır (salade de boulgour à la tomate et à la grenade), la sucuk (saucisse d’agneau pimentée) ou encore la şakşuka (salade d’aubergines et de poivrons cuits à la tomate). Les plus courageux s’essaieront au çiğ köfte, un hachis très épicé d’agneau ou de bœuf cru, bien qu’il existe aussi une version végétarienne à base de boulgour. Enfin le çerkes tavuğu est une recette anatolienne de poulet froid effiloché, nappé d’une crème de noix au yaourt arrosé d’un trait d’huile de piment. Il existe d’autres ingrédients plus basiques comme les olives tout simplement qui sont très appréciées, ou alors les légumes marinés (concombre, carotte, betterave, etc.) qui portent le nom générique de turşu.
Il existe également une grande diversité de mezzés servis chauds, comme les incontournables midye dolma (moules farcies au riz épicé), souvent considérés comme un des en-cas de rue les plus communs d’Istanbul. Mais également les hamsi tava (anchois frits), kalamar tava (calamars frits), l’arnavut ciğeri (foie de veau aux oignons) ou encore le börek (chausson en pâte filo garni de viande, de fromage frais, d’épinards ou de poireaux). À noter d’ailleurs que beaucoup de mezzés cités ici possèdent leur équivalent en Grèce ou dans le monde arabe sous un nom différent.
Bien que l’islam ne cautionne pas la consommation d’alcool, les Turcs sont souvent plus souples concernant ce point, et les mezzés sont couramment dégustés avec du raki. Cette eau-de-vie de raisin parfumée à l’anis affiche 45°. Comme l'ouzo grec ou le pastis, le raki est dilué dans de l’eau qu’il rend laiteuse. À servir glacé.

Les essentiels de la cuisine turque

Après un copieux plateau de mezzés, il est temps de passer au plat principal. En réalité en Turquie comme dans d’autres pays du Proche-Orient, le concept du « entrée-plat-dessert » n’est pas aussi rigide qu’en France. Souvent mezzés, grillades et soupes sont présentés à table au même moment. Cependant en l’absence d’amuse-bouches, on peut considérer que les soupes constituent une entrée en matière très populaire. En effet, la Turquie est un pays montagneux et des villes comme Istanbul ou Ankara peuvent subir des hivers particulièrement froids. On retrouve par exemple l’ezo gelin çorbası ou « soupe de la mariée », servie donc pour les grandes occasions à base de lentilles corail et de boulgour. L’işkembe (soupe aux tripes) aurait la réputation d’être la panacée pour les lendemains de fête douloureux. Elle est préparée dans des restaurants spécialisés qui restent ouverts toute la nuit, pour remettre les fêtards sur pied.
En Turquie, le mouton et l’agneau sont les viandes les plus populaires, suivies par celles de bœuf, puis de poulet. Pour rentrer dans le vif du sujet, le choix de kebabs (kebap en turc) à Istanbul peut être déconcertant et souvent ils ne ressemblent en rien à ce que l’on consomme en France, où l’on connaît seulement ce que les Turcs appellent le « döner kebap » servi dans des pains plats avec tomate, oignons et sauce au yaourt. Le şiş kebap par exemple est une brochette de cubes de viande marinés (kuzu/agneau, dana/bœuf ou tavuk/poulet) alors que l’adana kebap, très épicé, se présente sous la forme d’une brochette de viande hachée. Le très impressionnant vali kebabi constitue une énorme assiette de grillades mixtes : poulet, bœuf, mouton, légumes. Plus surprenant le kokoreç est un kebab de tripes finement émincées. Enfin, le köfte est également un terme générique pour décrire des recettes de boulettes de viande, souvent grillées, mais pas uniquement, comme avec les sulu köfte, cuites dans une sauce tomate au poivron, ou les içli köfte, où la viande est couverte d’une pâte de boulgour avant d’être frite. Enfin les mantı, sortes de raviolis farcis à la viande, se mangent généreusement arrosés de yaourt à l’ail et d’un filet de beurre fondu au paprika. Ce mets constitue un plat de choix pour un déjeuner dominical.

Poissons et accompagnements

Avec plus de 7 000 km de côtes partagées entre mer Noire et mer Méditerranée, il est impensable de passer outre les nombreux plats de poissons et de fruits de mer que propose le pays. Le balık iskender par exemple est un poisson grillé et émietté, servi sur un pain plat avec une sauce au yaourt et une purée de tomate épicée. Le karides güveç est un plat de crevettes mijotées dans une sauce tomate aux oignons, gratiné avec du kaşar, une variété de fromage turc. Beaucoup de préparations de poissons ou de fruits de mer cependant ne possèdent pas de noms spécifiques, mais sont accompagnées du type de cuisson comme tava/frit ou izgara/grillé. Au-delà des anchois (hamsi ou ançeviz) dont les Turcs se régalent, on peut citer les maquereaux (uskumru), les sardines (sardalya) souvent dévorées entre deux tranches de pain, accompagnées d’un morceau d’oignon et d’un filet de jus de citron. Le poisson le plus prisé est le kara göz balık (littéralement « œil noir », une variété de daurade), mais on peut aussi goûter au kalkan (turbot), au mersin (esturgeon) ou au trança (mérou).
Avec son climat très varié, la Turquie produit une grande variété de légumes qui sont préparés à toutes les sauces. L’aubergine est très consommée. On la retrouve en purée chaude accompagnée de morceaux de veau (hünkar beğendi), frite et nappée de yaourt (patlıcan tava) ou bien encore farcie (karnıyarık). Le biber dolmasi est une recette de poivron farci de riz et de viande. Le mücver se présente sous la forme de petites croquettes de courgette râpée servies avec une sauce au yaourt. Épinard, carotte, betterave, courge et autre chou sont également très consommés.
Bien que cultivé en Chine, le riz n’était autrefois pas connu des populations turques d’Asie centrale. Ils l’ont pris des Perses, au Xe siècle, quand les Turcs seldjoukides gouvernaient la plus grande partie du Moyen-Orient. Aujourd’hui, il entre dans la composition d’un bon nombre de recettes. Contrairement à l’Extrême-Orient où le riz doit être moelleux et légèrement collant, en Turquie on l’aime ferme avec des grains qui se détachent bien. Cuit exclusivement par absorption, une méthode appelée pilav en turc, il est souvent accompagné de vermicelles ou de pois chiches. Il est ainsi garni de toutes sortes d’ingrédients : viande, volaille, poisson, fruits de mer, légumes, fruits secs et ainsi de suite. Les pâtes sont également appréciées dans la cuisine turque comme le fırın makarna, un gratin de macaronis sur un lit de viande hachée, le tout nappé de béchamel au fromage gratiné.

Les vins turcs

Côté boissons, il est intéressant de noter que la Turquie produit de nombreux vins de qualité, bien qu’ils soient plus chers qu’en France en moyenne. Si l’islam interdit la consommation du vin, le pays, par son histoire et sa géographie, n’a pu s’en détacher, à commencer par ses souverains ottomans. Les vins comme Kavaklıdere, Doluca et quelques autres jouissent d’une bonne réputation, ainsi qu’un grand nombre de vins de table très estimés. De nombreuses localités en Turquie produisent de fort bons vins, comme Niğde, Nevşehir, Gaziantep, Elazığ, Tokat, Çanakkale, Tekirdağ, Izmir, Bozcaada et Manisa. On conseillera pour les amateurs de déguster le sarafin cabernet sauvignon, en vin rouge, et le sarafin sauvignon blanc pour le vin blanc. Très consommée en Turquie, la bière Efes Pilsen, brune ou blonde (la blonde est légèrement amère), est considérée comme la meilleure du pays. La Bomonti, également d’origine turque, a sa place chez tous les revendeurs et dans les bars. La Tuborg, une société danoise, brasse sous licence de la bière beyaz (blonde) ou siyah (brune). Mais on trouve aussi de nombreuses marques internationales. Parmi les boissons fraîches, on retrouve bien sûr une multitude de jus de fruits et autres boissons gazeuses, mais pour ceux qui préfèrent verser dans le 100 % authentique, il faut tester l’ayran, une boisson rafraîchissante composée d’un mélange de yaourt, d’eau et de sel. Les Turcs le consomment à table ou pour se désaltérer durant les fortes chaleurs.

Café turc, thé noir et baklava

Bien qu’il soit originaire de Chine, ce sont les Turcs qui sont les plus gros consommateurs de thé au monde avec plus de 3 kg par an par habitant. Cultivé seulement depuis le début du XXe siècle au bord de la mer Noire vers la province de Rize, le thé, appelé « çayı » (prononcé « tchaï »), ponctue la journée de tous les Turcs. Le thé se prépare selon le principe du samovar (l’eau en bas dans une bouilloire et le thé en haut dans une théière), puis on le sert dans de petits verres en forme de tulipe. Les Turcs peuvent sans problème boire entre 10 et 20 verres de ce breuvage par jour.
Même si la Turquie ne cultive pas de café, on pense que les Turcs ont été les premiers à l’introduire en Europe. D’où l’appellation « café turc », bien qu’il soit également appelé café grec de l’autre côté de la mer Égée. Il est préparé selon la recette traditionnelle : sade (sans sucre), orta (moyennement sucré) ou encore şekerli (très sucré), ce qui devra être précisé à la commande. Un verre d’eau est souvent apporté avec le café, à boire avant, pour préparer le palais à la dégustation. Après consommation, la tradition veut qu’on retourne la tasse dans la soucoupe pour lire l’avenir dans le marc. Enfin, il existe d’autres boissons chaudes, comme le consistant boza vendu traditionnellement en hiver : c’est une boisson à base de millet fermenté qui se déguste avec une pincée de cannelle. Le sahlep est une délicate boisson chaude à base de lait et de poudre de sahlep, une racine d’orchidée.
Entre thé et café, il est impossible d’oublier les desserts, tant la Turquie offre de possibilités aux becs sucrés de se régaler. Le baklava est sans doute le plus connu de tous. Bien qu’on le déguste des Balkans jusqu’en Asie centrale c’est en Turquie – et en Grèce – que ce dessert multicouche en pâte filo exprime toute sa diversité. Il peut être garni de noix, pistaches, amandes, noisettes, parfois un mélange des quatre, parfumé de cannelle et imbibé de sirop à l’eau de rose ou à la fleur d’oranger. Les bülbül yuvası, dont le nom pourrait être traduit par « nid de rossignol », sont des anneaux de pâte filo, nappés de sirop et garnis de fruits secs. Plus étonnant, le künefe d’origine arabe présente deux couches de cheveux d’ange fourrés de fromage fondant proche de la mozzarella, le tout saupoudré de pistaches hachées. Le laz böreği est un baklava garni d’une crème au lait que l’on retrouve en Grèce sous le nom de galaktoboureko. Le tulumba ressemblerait presque à nos chichis, mais ils sont imbibés de sirop et dégustés à température ambiante.
On rencontre également de nombreux entremets comme le sütlaç, un riz au lait crémeux parfumé à la cannelle, ou le ayva tatlısı, l’équivalent turc de la poire Belle-Hélène, mais préparé avec des coings et nappé de kaymac, un fromage frais très gras proche du mascarpone. Mais s’il y a bien un dessert turc assez étrange, c’est le tavuk göğsü ou pudding de poulet. Oui, vous avez bien lu. Cette recette s’inspire des recettes médiévales de blanc-manger où effectivement viande, produits laitiers, fruits secs et épices étaient mélangés dans des entremets sucrés-salés. Cependant, le poulet est poché, émincé, rincé, puis émietté si finement qu’on ne sent au final plus le goût, car il est avant tout utilisé pour sa texture dense. Le dessert en lui-même est parfumé de cannelle et d’eau de rose. À essayer pour les plus curieux.
Impossible de s’arrêter en si bon chemin sans évoquer les confiseries turques. Le halva consommé en Turquie – malgré son nom – est très différent du halva indien à base de semoule. Ici, la recette ressemblerait plus à une confiserie dense proche d’un nougat parfumé à la crème de sésame (tahini) et garni de pistaches, d’amandes ou encore de miel. Et bien sûr impossible de passer à côté du célèbre loukoum. Bien que cette sucrerie soit extrêmement ancienne, la version moderne date du début du XIXe siècle, grâce à Hacı Bekir dont la recette plut tellement qu’il fut nommé confiseur en chef à la cour du sultan Mahmoud II. L’utilisation d’amidon donne au loukoum sa texture élastique. Souvent parfumés à l’eau de rose, à la menthe, à la bergamote ou au citron, ils sont parfois garnis de fruits secs : amandes, noix, pistaches, raisins de Corinthe, abricots secs, noix de cajou, coco râpée, etc.

Une savoureuse promenade au bazar

Bien que le terme « bazar » vienne du vieux perse, c’est en Turquie que ce mot semble résonner avec le plus d’intensité. Les sultans ottomans ont fait bâtir des chefs-d’œuvre d’architecture civile, offrant un écrin de choix aux commerçants turcs pour vendre leurs produits.
Si le Grand Bazar d’Istanbul, dont les premières traces remontent à 1455, est plutôt spécialisé dans l’artisanat – bijoux, tapis, textiles, mosaïques, etc. –, les épicuriens ne peuvent rater sous aucun prétexte le Bazar aux épices ou Marché égyptien (en turc : Mısır Çarşısı) situé dans le quartier d’Eminönü, tout près de la Mosquée neuve ou Yeni Cami. Fondé en 1663, c’est le deuxième marché couvert d’Istanbul. À l’époque la plupart des produits exotiques venant de Chine, d’Inde ou d’Asie du Sud-Est transitaient vers l’Empire ottoman via la mer Rouge et la mer Méditerranée, faisant donc escale en Égypte, d’où son surprenant toponyme. Istanbul servait jusqu’alors de plaque tournante du commerce des épices en Occident, avant le développement des flottes marchandes européennes en Asie à la fin du XVIIe siècle.
Les arômes enivrants de cannelle, de paprika, de cumin, de cardamome, de safran, de menthe, de thym et de toutes les autres herbes et épices imaginables remplissent l’air, même avant l’entrée sur le marché. Le Bazar aux épices fourmille de clients, de commerçants et de porteurs qui naviguent au milieu d’une gamme vertigineuse de couleurs et d’arômes. Visiter le Mısır Çarşısı, ce n’est pas simplement un moyen de satisfaire l’envie du touriste pour l’exotisme, c’est aussi l’occasion de vraiment voir et de vivre la vie commerciale traditionnelle d’Istanbul. Le bazar est en forme de « L » et a six portes.
Les épices et les graines sont entassées en grands tas coniques dans d’immenses sacs en tissus, tandis que des chaînes de gombos séchés, de poivrons et d’aubergines pendent au-dessus des têtes. Mais bien sûr Istanbul n’est pas la seule ville à pouvoir se vanter de posséder des bazars d’exception. Fondé au XVIe siècle, en même temps que la splendide Mosquée d’Hisar, le Bazar de Kemeraltı (Kemeraltı Çarşısı en turc) est le plus beau marché d’Izmir. Il se compose d’un ensemble de halles voûtées, mais s’étend également dans les rues adjacentes. Plus modeste, bien que charmant, le Bakırcılar Çarşısı est situé à Gaziantep, dans le sud-est du pays. Enfin le Selimiye Arasta Çarşisi, situé à Edirne, est impressionnant avec ses immenses voûtes en briques rouges.
En plus des produits frais, le marché est l’occasion de voir les boulangers à l’œuvre préparer des fournées de pains et autres viennoiseries sucrées et salées. Car une visite au bazar est aussi une bonne occasion de s’essayer à la cuisine de rue turque. Le lahmacun, originaire de la région d’Adana, est l’équivalent d’une fine pizza garnie de viande hachée épicée, souvent parsemée de tomate et d’oignon, puis roulée et mangée sur le pouce. Très proche, l’etli ekmek vient de la région de Konya, il s’en distingue généralement par sa forme carrée et est rarement garni de crudités. Similaire à un burrito, le tantuni est une galette garnie de petits morceaux de bœuf avec des tomates, de l’oignon et beaucoup de coriandre. Dans les börekçi, on peut également déguster d’énormes parts de börek à peine sorti du four. Le balık ekmek, également un en-cas populaire, est un petit pain rempli de poisson frit et de légumes. Pour les petites faims, un simit (anneau aux graines de sésame) est parfait. Si vous avez le temps de vous attarder, déjeunez au restaurant Pandeli à Istanbul, avec ses intérieurs décorés de tuiles bleues. La vue sur la Corne d’Or depuis les fenêtres, les appels à la prière des mosquées voisines et les odeurs du Bazar aux épices à l’extérieur rendent l’atmosphère ici presque magique. Près de 70 plats différents agrémentent le menu.
Et pour ceux qui désireraient repartir avec quelques souvenirs dans leurs valises, le marché est le lieu parfait pour s’approvisionner. Une boîte de loukoums est toujours bienvenue pour les plus gourmands. Plus surprenant – et dur à trouver en France –, le nar ekşisi est une mélasse de jus de grenade, à la texture sirupeuse et à la saveur aigre-douce. Elle est largement utilisée pour assaisonner les salades et faire mariner les viandes. Le baharat est un mélange d’une douzaine d’épices et de menthe séchée, idéal pour les grillades.
Enfin, s’il y a bien un produit turc auquel on ne pense jamais, c’est le fromage. Pourtant le pays produit un grand nombre de spécialités fromagères, assez proches de ce qu’on trouve d’ailleurs en Grèce ou dans les Balkans. On peut citer le beyaz peynir, un fromage proche de la feta, mais au goût plus doux. Le çerkez peyniri ou « fromage circassien », ressemblant un peu à du gouda, est parfois fumé. Le hellim est un fromage de chèvre salé à texture ferme, proche du halloumi chypriote. En Turquie, il est courant de le faire griller avec de l’huile d’olive. Le kaşar est un fromage omniprésent dans le pays. Fabriqué avec du lait de brebis, il est parfois vendu comme du « cheddar turc ». Le kaşkaval est un fromage de brebis jaune dont on trouve plusieurs variantes à travers les Balkans. Filant comme une mozzarella, l’örgü peyniri ou « fromage tressé » est une spécialité de Diyarbakır. Pour finir, l’otlu peynir est un type de fromage frais au lait de vache, proche de la feta, parfumé avec de la menthe, de l’anis et de l’ail sauvage.