Le dialogue avec les ancêtres

Tous les Malgaches, du pêcheur vezo au Président, se retrouvent unis autour d’un culte commun, la croyance aux ancêtres à travers lesquels on est relié à un clan, à un groupe, à une communauté. A Madagascar, la notion de communauté prévaut sur celle d’individualité. Les ancêtres sont perçus comme des demi-dieux, plus proches des vivants que le fondateur de l’Univers, Andriananahary, le seigneur des ancêtres, d’où un culte fidèle qui imprègne la vie quotidienne des vivants et régit leur vie. La culture malgache ne peut être comprise sans cette constante référence. Les ancêtres sont respectés parce qu’ils représentent les racines de la vie, l’origine du peuple, les fondements de la famille. L’hommage qui leur est rendu est profond et quotidien. Pour la moindre fête, les ancêtres sont invoqués. Souvent, le rhum est partagé en l’honneur des ancêtres, mais on sacrifie aussi un poulet, un canard, ou un zébu. Danses, chansons et musique accompagnent la cérémonie. Les lieux consacrés, les fêtes, les cérémonies, l’art, la poésie, les proverbes, les liens du sang, et même la circoncision, tout contribue à glorifier les ancêtres.

Cette omniprésence des défunts peut paraître étonnante dans une société si jeune, où l’enfant est censé être roi. Mais pour les Malgaches, très enclins à la spiritualité, la mort n’est pas perçue sur le mode occidental, comme rupture et comme fin. Sublimation de la vie, elle donne accès à un état supérieur de connaissance, à la sagesse, et permet aux défunts de protéger ceux qui sont encore vivants, de les diriger sur leur chemin. Les ancêtres peuvent être priés d’apporter leur aide aux vivants en ce qui concerne l’amour, la santé, le travail, puis remerciés lorsque la requête a été exaucée.

Pour entrer en communication avec les esprits des morts, les Malgaches se livrent à des cérémonies. On les invoque, on leur demande la fertilité ou le succès d’une récolte à l’occasion des tromba, cultes de possession au cours desquels des défunts parlent par l’intermédiaire des possédés.

Les zoky olona, ou naoda, sont les doyens, les anciens. Dans les villages, ils disposent d’un pouvoir moral et spirituel important. On leur demande conseil lorsque des décisions importantes engageant la collectivité doivent être prises. On leur témoigne affection et respect. Ce statut est dû à leur expérience accumulée au fil des années, à leur état d’ascendants immédiats, ainsi qu’à leur passage proche à l’état d’ancêtre. Les astrologues, prêtres de tromba et devins sont souvent des anciens. Rois et reines font figure d’ancêtres suprêmes. Devenir un jour un ancêtre est un élément psychologique important chez les vivants et pour devenir un ancêtre, il faut des enfants, des petits-enfants, une descendance, nombreuse si possible. De ce fait, les enfants sont choyés et protégés. Chaque naissance est une fête.

Le famadihana, traduit par « retournement des morts », est une cérémonie importante, notamment dans les Hautes Terres, car elle met en relation les vivants et les ancêtres. Il peut aussi être considéré comme un lieu privilégié de transmission de valeurs des générations aînées aux plus jeunes. La vocation de cette cérémonie serait donc double : inscrire les jeunes dans la lignée de leurs ancêtres et inscrire le statut des familles dans le contexte local.

La face cachée de la réalité

Pour les Malgaches tout est signification, et la nature est chargée d’enseignements et de symboles cachés. Ainsi, on fera très attention aux phases de la Lune, astre dominant, symbole de fécondité et de féminité. Pour « vivre » cette relation avec les ancêtres, des intermédiaires sont parfois nécessaires : médiums, devins et ombiasy (sorciers ou guérisseurs). Ils aident à choisir les jours les plus fastes pour la date d’un mariage, d’un famadihana, ou de la construction d’un édifice. C’est ainsi encore que pour des tromba (transes), on choisira plus volontiers le moment de la nouvelle lune qui transmet le mouvement et la liberté.

L’importance de l’occulte apparaît également dans le développement des sciences de divination, comme la géomancie et l’astrologie héritées des Arabes. A l’aide de figures complexes et de graines, le mpisikidy (sorcier qui devine par le sikidy) détermine le sort de la personne venue le consulter. On se soumet volontiers au vintana (destin) et à son caractère inéluctable.

L’envoûtement et le désenvoûtement sont pratiqués dans différentes régions. La maladie est parfois attribuée à la colère des ancêtres ou à un voisin malveillant ; pour la soigner, on s’alloue les services d’un guérisseur ou devin (ombiasy) qui la fait disparaître à l’aide de remèdes (fanafody). Le guérisseur utilise soit les plantes médicinales dont il connaît les vertus curatives, soit des antidotes s’il considère que son client a été envoûté. A travers les tromba, il peut aussi invoquer les esprits qui l’aident à combattre le maléfice.

Petit précis du « surnaturel » malgache

Les sorciers ou guérisseurs (ombiasy) ont le pouvoir de rentrer en contact avec les ancêtres pour connaître les maladies et les soigner. La connaissance des plantes médicinales leur assure un rôle fondamental dans la communauté. On les surnomme : Olona be hasina, c’est-à-dire : « personnes aux grandes vertus ». D’autres sorciers, les Mpamosavy, pratiquent la magie noire, jettent des sortilèges, ou envoûtent les personnes. Ils n’ont pas le droit de pénétrer dans le tombeau familial et ils sont mis à l’écart de la communauté.

Les talismans (ody) sont des amulettes – qui peuvent être du bois, une corne de zébu, un coquillage ou une pièce de monnaie – utilisées par le sorcier. Les pouvoirs que confèrent les talismans sont obtenus en échange de sacrifices. 

Les destinées (vintana) sont de véritables règles culturelles et spirituelles qui orchestrent la vie en communauté des Malgaches. Il faut trouver leur origine dans l’astrologie arabe et leur calendrier lunaire. La position des astres dans le cosmos est une source majeure d’influence pour une quelconque activité quotidienne.

Le devin (mpanandro) est un personnage important dans le village. Sa vocation d’astrologue lui permet de connaître les bonnes ascendances cosmiques, afin de déterminer les jours de mariage, d’exhumation, toutes sortes de cérémonies importantes. Ses avis sont particulièrement écoutés.   

L'âme malgache et le surnaturel : les fady

Au-delà du monde tangible et concret que l’homme peut rationaliser, le Malgache reconnaît donc l’existence d’un autre monde, qui, avec ses lois, exerce sur lui à la fois peur et fascination. Il éprouve cependant le besoin de le neutraliser. Certains rites permettent ainsi de domestiquer cet univers obscur : les fady en sont des exemples édifiants. Ce sont des interdits, ou tabous, qui régissent certains lieux, actes et situations de la vie. Tout le monde les respecte, et il est particulièrement grave de les enfreindre. On raconte à leur propos des légendes aussi belles qu’insolites. A la ville comme à la campagne, le voyageur est tenu de les respecter.

Bien souvent dotés d’une valeur morale, ils ont pour fonction de maintenir la cohésion d’une collectivité, d’un peuple, d’une famille ou même d’une seule personne. Ils renforcent en outre le sentiment d’appartenance à un groupe en le différenciant des autres. Ainsi ceux des Vezos ne sont pas les mêmes que ceux des Betsileos. Chez les Zafimanirys, il est tabou, au risque de faire tomber la foudre, de s’appuyer au poteau central qui soutient le faîtage d’une maison. Les Betsileos, eux, ne s’assoient pas sur le pas de la porte par crainte de provoquer une pénurie de riz.

Le fady s’applique à des lieux, des êtres, des objets, des animaux et des périodes précises. Ainsi, certaines espèces sont interdites de consommation, comme les lémuriens, le serpent chez les Betsimisarakas, ou les anguilles à Bekily, dans la région de Taolagnaro.

Ces interdits peuvent avoir plusieurs origines. Les fady qui touchent une seule personne peuvent lui être désignés par un devin ou un astrologue en fonction de sa carte du ciel. Plus souvent, ils ont pour origine les collectivités et sont rattachés aux ancêtres. Le jeudi et le mardi sont des jours fady pour le retournement des morts.

Transgresser un interdit entraîne le déchaînement de puissances mauvaises. Si on éveille la colère des ancêtres, toute la collectivité en subit les conséquences. Si une seule personne est en cause, elle attire la malchance sur elle. On relate ainsi des cas de noyade qui auraient suivi la non-application d’un interdit. Chez certains peuples, pour briser le déchaînement des forces du mal, un rituel sacrificiel doit avoir lieu, voire un sacrifice sanglant.

Les fady collectifs sont héréditaires et se transmettent comme tels : lorsqu’une femme épouse un homme d’une autre région que la sienne, elle conserve ses propres interdits et n’observe ceux de son mari que si la vie en commun l’y oblige. L’origine du fady est souvent très ancienne, mais se retrouve généralement dans une histoire que l’on se transmet de génération en génération. Mais les fady ne sont pas tous destinés à la pérennité et la personne la plus âgée du clan, le devin, ou le mort lui-même, peuvent un jour décider de les lever.

Les rois d'un jour : la circoncision

La circoncision est une cérémonie célébrée durant l’hiver austral de juillet à septembre et jusqu’à octobre dans l’Est (les plaies peuvent alors se cicatriser plus rapidement). C’est, littéralement, la fête du jeune garçon. Elle lui permet de devenir un homme au sein de la communauté. Ce rituel, s’il a perdu de sa force dans les grandes villes, donne lieu dans les campagnes à de grandes fêtes qui rassemblent les familles des jeunes gens et les amis des villages avoisinants pour des réjouissances qui durent plus de quarante-huit heures.

Les rites présentent certaines différences, selon les peuples. Certaines festivités attirent des milliers de personnes, comme chez les Antambahoakas de Mananjary, où le sambatra se tient tous les sept ans et dure un mois durant.

Au coucher du soleil de la première journée, et après avoir tué les poulets, porcs ou zébus (selon les moyens du groupe), on se livre dans la liesse aux chants et aux danses. On partage un repas de viande et de riz. Dès lors tout est permis, sauf les rapports sexuels. La fête se poursuit jusqu’au surlendemain, jour de la circoncision. On prend particulièrement soin du jeune garçon souvent guère plus âgé que 4 ans. Il reçoit des cadeaux de son père ; sa mère lui prodigue des massages.

Au chant du coq, les villageois partent en une procession dansante puiser l’eau « forte » d’une rivière ou d’un fleuve. Dans chaque village qu’ils traversent, les gens qu’ils rencontrent les aspergent d’eau. A leur retour, ils affrontent en une lutte traditionnelle les villageois qui tentent de renverser leurs récipients. Une fois les cruches sauvées du danger, elles sont portées à la maison où a lieu la cérémonie. La circoncision, pratiquée par le médecin de village ou l’astrologue, peut dès lors avoir lieu sur les jeunes garçons endormis, parés de leurs plus beaux vêtements et tenus par leurs pères. Puis, on lave les plaies à l’eau « forte » tandis que les pleurs sont assourdis par les tambours et les cris des femmes, scandant « que le nôtre soit un mâle ».

Le zébu, animal emblématique

Le zébu est simultanément bétail destiné à l’alimentation, animal de prestige et bête de sacrifice. Un lien très étroit l’attache à son propriétaire. Dans le Sud, à la mort d’un éleveur, tout le troupeau est sacrifié et disparaît avec lui. Les bucranes (cornes) sont plantés sur les tombeaux, symbolisant le prestige dont jouissait le défunt de son vivant. Le zébu est aussi régulièrement sacrifié lors des mariages et des accouchements.

Les impressionnants troupeaux qui paissent en pays Sakalava pourraient représenter de bonnes sources de revenus. Et pourtant ils sont là pour la parade ! C’est pourquoi il a été question d’élevage contemplatif dans le Sud, chez les Baras par exemple, où, pour se marier, le fiancé a tout intérêt à mettre dans la corbeille un troupeau de zébus. Sinon, il peut perdre celle qu’il convoite ! Mais ces traditions ont tendance à se perdre à cause des difficultés économiques.

Religions importées

D’autres religions sont venues à Madagascar du bout du monde. Avec les commerçants arabes, l’islam s’est implanté à partir du VIIIe siècle sur la côte est, en Antaimoro, près de Manakara, et sur la côte ouest, à Mahajanga. Ici, le dimanche, dans la torpeur de la mi-journée qui s’achève, les fidèles psalmodient les sourates du Coran dans les grandes mosquées. Il y en a d’autres à Morondava, à Toliara, à Belo-sur-Tsiribhina et à Antananarivo. L’islam est ici la religion d’un petit nombre et il est empreint de tolérance. C’est un islam malagasy, à mille lieues du fanatisme des fous de Dieu et autres intégristes. La tolérance est un fondement de l’identité culturelle malgache.

Le christianisme s’est implanté à Madagascar en deux étapes. D’abord, les églises réformées britannique et norvégienne ont mis à profit « l’européanisme » relatif du roi Radama Ier. Mais c’est surtout des décennies plus tard que les choses sont devenues plus complexes, lorsque les liens entre missionnaires, services secrets français et commerçants européens inquiétèrent la reine Ranavalona II, qui redoutait les tentatives de subversion de l’Etat certainement à juste titre, puisque les empereurs du Vietnam, à la même époque affrontaient l’invasion des armées françaises venues sous le prétexte de défendre la liberté de culte et du commerce, dans un pays souverain situé aux antipodes de la France !

L’influence du christianisme s’est accentuée lorsque la monarchie Merina s’est convertie au protestantisme, comme en témoigne un temple construit à l’intérieur de l’enceinte du Rova, la cité royale, à la demande de Sa Majesté la reine elle-même, en 1869. La religion catholique s’est surtout implantée à la suite de l’établissement de l’armée coloniale à partir de la fin du XIXe siècle. La bienveillance de l’administration coloniale pendant plusieurs décennies lui a permis d’exercer une influence notable dans toutes les régions du pays et c'est encore aujourd'hui la religion dominante. Les dimanches, les habitants se parent de leurs plus beaux habits et marchent parfois des dizaines de kilomètres pour se rendre à la messe.