Divisions infondées

Les armées et administrations coloniales ont tenté d’asseoir leur domination en appliquant jusqu’à l’absurde le précepte « diviser pour mieux régner ». Pendant des décennies, tout a été fait pour démanteler l’Etat malgache et détruire par des divisions aussi subtiles que redoutables toute velléité d’unité nationale. Plus tard, après l’indépendance de 1960, des politiciens malgaches en mal de pouvoir ont eux aussi essayé de fonder leur légitimité sur cette fausse division. Ils ont échoué !

La distinction la plus commune est celle entre habitants des Hautes Terres et habitants des côtes, elle est fort simpliste, les régions de Madagascar étant bien plus diversifiées et fascinantes. Aussi, on parle souvent d’ethnies à propos des peuples de Madagascar… C’est une terminologie aussi inadéquate que de parler d’ethnies pour les Bretons, les Flamands ou les Alsaciens ! Les 18 « tribus » dont tout le monde parle ont été établies par l’administration coloniale au début du XXe siècle. Elles ne recouvrent pas forcément des entités homogènes.

Avant même l’arrivée d’Africains, d’Arabes et d’Européens, l’île a d’abord accueilli les Austronésiens, en référence au domaine s'étendant de Taïwan à la Nouvelle-Zélande et de Madagascar à l'île de Pâques ; puis des immigrants indonésiens et bantous ont grossi les rangs de cette première population. Ainsi, contrairement à ce que « la politique des races » de Gallieni a voulu faire croire, on ne peut vraiment parler de « races » ou de « tribus », chacune isolée dans son petit monde à elle (et chaque tribu correspondant à une race). L’île offre un visage bigarré de toute beauté, entre les Betsileos (environ 12 % de la population) et les Merinas (environ 27 %) des hauts plateaux, les Sakalavas et les Mahafalys à l’ouest, les Antemoros, les Antaisakas, les Tanalas et les Tsimihetys à l’est, et les Antandroys et les Baras au sud. Chaque peuple de l’île a des traditions, une identité de groupe, mais tous se considèrent comme Malagasys et ont en commun une même langue parlée dans tout le pays. Le terme de « conflit ethnique », largement utilisé par les médias français lors de crises politiques passées, sert les intérêts de ceux qui, inconsciemment peut-être, fantasment sur une idéologie coloniale où le monde « civilisé » doit lutter contre les « barbares », quand il ne s’agit pas de les éduquer.

Aux antipodes, Jean-Aimé Rakotoarisoa rappelle, en une brillante formule : « Tout Malgache n’aura-t-il pas été, par définition, à un moment de son histoire, d’abord un côtier ? »

La terre des Ancêtres

Tout Malgache fait référence à Tanindrazana, « la terre des Ancêtres ». Et il en est ainsi au cours de chaque cérémonie rassemblant des peuples venus de tous les coins de la Grande Île. Vous-même, au cours de votre voyage, entendrez probablement telle ou telle personne de la Côte (souvent déjà liée à un mode de vie occidental, cela dit) railler les gens de Tana, ou les gens de Tana s’en prendre à tel ou tel Côtier. Mais ce clivage n’est nullement d’ordre ethnique : il concerne, comme souvent, davantage des questions politiques et socio-économiques. Un peu comme en France les provinciaux pestent contre les Parisiens, les Côtiers (terminologie impropre, rappelons-le) tempêtent contre les Merinas, parce que ceux-ci, politiquement et économiquement surtout, gouvernent le pays, à l’encontre peut-être des autres régions de Madagascar. Disons donc qu’une classe largement exploitée et opprimée, mais non « côtière » ou « Merina », s’oppose à une classe bourgeoise et dominante, vivant en grande majorité à Tananarive (centre de décision de la Grande Île), sans être spécialement Merina ou « Côtière ». Le conflit est économique plutôt que géographique.

Le mystère de l’origine de la population malgache

Île métisse, Madagascar est un mélange où il est presque possible de faire un « tour du monde » en un seul voyage.

L’anthropologue Denis Pierron, chercheur au CNRS, a mené de brillantes études à ce propos. Il explique dans un article disponible sur le site www.inee.cnrs.fr : « les études historiques, linguistiques, ethnographiques, archéologiques et génétiques montrent la présence d’influences à la fois africaines et asiatiques. Cependant, il n'existe pas de consensus sur le lieu, la période et les circonstances où ces deux mondes se sont rencontrés et ont fusionné. Le manque d'histoire écrite et les preuves archéologiques limitées rendent difficile de différencier les mythes fondateurs et l'histoire orale, les hypothèses scientifiques et la spéculation pure. »

Le projet international MAGE (Madagascar, Anthropologie, Génétique et Ethno-linguistique) a été créé pour comprendre les origines de la population malgache et a couru sur une décennie. Plus de 250 villages de la Grande Île ont été visités. L’objectif ? Comprendre la diversité culturelle, linguistique et génétique de Madagascar grâce à des échantillons représentatifs de l'ensemble de la population. 3 000 personnes ont été interrogées. L’étude des données ainsi réunies a permis de comprendre et d’expliquer que chaque personne malgache compte généralement deux origines, à la fois africaine et asiatique, avec en plus une petite origine de l'Europe et du Moyen-Orient. Le mélange de ces gènes serait très récent (moins de mille ans). Peut-être que ce type d’études réussira enfin à apaiser un sujet particulièrement passionné dans le pays !

Les différents peuples de Madagascar

Une fois ce contexte posé, voici une présentation succincte des différents peuples de la Grande Île, proposée par ordre alphabétique :

Antaifasy : « Ceux du sable ». Ils sont groupés autour de la ville de Farafangana, au nord de Fort Dauphin. Ils ont une loi tribale très stricte. Toujours plus ou moins indépendants des Merina, on ne connaît pas vraiment leurs origines. Ils étaient séparés en trois classes : les Randroy, Andrianseranana et Marofela.

Antaimoro : « Ceux du rivage ». Ils habitent au sud des Betsimisaraka, autour de Vohipeno où sont conservés les restes des anciens rois. Ce sont des descendants d’Arabes, certains nobles conservant même l’écriture arabe ou sorabé ainsi que la pratique de divination par les graines ou sikidy. Leur technique de fabrication du papier a maintenant dépassé les frontières de la Grande Île.

Antaisaka (ou Antaisakalava) : « Ceux qui viennent des Sakalava ». Ils vivent au sud des Antaifasy, près de Fort Dauphin, dans la région de Vangaindrano. L’influence de l’islam est très faible. C'est le prince sakalava Andriamandresy qui aurait quitté sa région pour venir fonder un nouveau royaume ici. Ils se révoltèrent en 1852 contre leurs occupants merina, qui durent établir un gouvernement plus souple.

Antambahoaka : « Descendants de Rabeva-hoaka », « ceux de la communauté ». Ils vivent au sud des Betsimisaraka, jusqu’à Fort Dauphin. Leur capitale était Mananjary. Leur origine arabe est indiscutable : un « éléphant de pierre » qu’on peut encore admirer près du village d’Ambohitsara aurait été apporté de La Mecque par Raminia, fondateur du clan. Son fils Rabevahoaka donna son nom à tout le peuple.

Antandroy : « Ceux du pays des épines ». Ainsi nommés en raison de l’abondance des cactées dans cette région du Sud-Est, près de Taolagnaro, utilisées comme moyen de protection contre les envahisseurs et comme nourriture pour les troupeaux. Une légende raconte que leur ancêtre, Raminia, est venu d’Arabie entre le Ve et le VIIe siècle de notre ère, on retrouve d’ailleurs des traits arabisants chez ce peuple épris de connaissances astrologiques et de divination. L’isolement conféré par cette région a priori inhospitalière a su préserver une identité culturelle profonde. Chasseurs, éleveurs, les Antandroy se séparent rarement de la sagaie (emblème du guerrier) et ils obéissent à des règles traditionnelles et spirituelles très strictes.

Antankarana : « Ceux de l’Ankarana, du pays rocheux ». Ils vivent à l’extrême nord de l’île, du cap d’Ambre au fleuve Sambirano. C’est un mélange de Sakalava et de Betsimisaraka. Très forte influence de l’islam. Ils croient aux divinités naturelles (arbre, plante, montagne, eau...).

Antanosy : « Ceux de l’île ». Ils occupent la région autour de Fort Dauphin. Leur nom provient d’une île de la rivière Fanjahira, d’où étaient issus les chefs primitifs. Cette puissante tribu fut soumise par les Merina, ce qui provoqua un exode massif vers les terres de l’Ouest entre 1830 et 1845. Ce nouveau groupement prit le nom de « Antanosy émigrés ». Ce sont de bons riziculteurs et éleveurs, mais aussi des forgerons et charpentiers.

Bara : L’origine de ce nom n’est pas connue (bantoue peut-être ?). Ils vivent au sud des Betsileo, se divisent en clans, et ne subirent pas vraiment l’autorité des Merina. Leur tradition veut que les jeunes hommes doivent voler des zébus afin d'affirmer leur bravoure, avant leur mariage.

Betsileo : « Les nombreux invincibles ». Leur capitale était Fianarantsoa et ils sont peut-être originaires d'Indonésie. Autrefois divisés en castes, ils ont fait le choix de se soumettre pacifiquement aux Merina. Excellents cultivateurs, on peut encore admirer leur patient travail des rizières en escaliers ou leurs longs canaux d’irrigation.

Betsimisaraka : « Beaucoup qui ne se séparent pas ». C’est la plus grande peuplade de l’Est de l’île, étendue sur toute la façade littorale, entre les rivières Bemarivo et Mananjary. Bons marins (ils ont longtemps lancé des expéditions contre les Comores), leur apparence physique évoque l’Afrique. Ils furent très tôt les alliés et les sujets de la France.

Bezanozano : « Beaucoup de petites tresses ». Leur coiffure explique bien sûr ce nom. Ils vivent dans la vallée du Mongoro, entre la grande forêt orientale et les pentes du plateau central, autour de Moramanga. Conquis par Radama Ier, ils furent pendant longtemps les gardiens de troupeaux des Merina.

Mahafaly : « Ceux du pays fady, tabou ». L’origine de leur nom est évoquée par le scientifique Raymond Decary : « Le grand fétiche du roi et du peuple, nommé Andriamaro, et qui était conservé sur une montagne boisée, ne permettait à aucun étranger, que celui-ci fût blanc ou même originaire d’une autre tribu, de pénétrer dans le pays qui devint fady (faly en dialecte côtier), c’est-à-dire inviolable, tabou. Mais, lorsqu’un des derniers rois, Refotaka, eut abandonné le pays, à la suite de la transgression d’interdits dont il s’était lui-même rendu coupable, le fétiche Andriamaro perdit sa puissance, et dès ce moment, disent les indigènes, le pays devint accessible aux gens de l’extérieur. » Trois royaumes se divisèrent à la fin du XIXe siècle : celui de Refotaka, celui de Tsiverengy, et celui de Tsiampondy. Ce sont d'excellents sculpteurs.

Merina : « Ceux du pays où la vue est étendue ». Ils sont aussi appelés les Ambaniandro (« ceux qui sont sous le soleil »), à cause de l’aridité de leur pays. Ils vivent sur la partie centrale des hauts plateaux, l’Imerina, autour d'Antananarivo. Auparavant, ils étaient divisés en quatre clans : les Andriana ou nobles, descendants d’immigrés javanais ; les Hova, bourgeois ou hommes libres, d’origine probablement indigène (Vazimba) ; les Mainty, ou Noirs, pas encore tout à fait asservis ; et les Ondovo, esclaves. L’histoire des Merina est bien connue : c’est d’ailleurs la source principale de nos connaissances sur l’île avant la colonisation.

Makoa. Ils vivent sur la côte nord-ouest près du cap Saint-André. D’origine bantoue (leurs ancêtres furent emmenés en esclavage en Afrique par des Arabes négriers), leur type africain est assez marqué. On les regroupe parfois sous la dénomination générique « sakalava ».

Sakalava : « Ceux des longues vallées ». Ils vivent le long de la côte occidentale (près d’un millier de kilomètres du nord au sud). Cet immense pays couvre environ le quart de la Grande Île. Cependant, au sud, ils se divisent en Vezo (sur les côtes, d'excellents marins surnommés « nomades de la mer », notons que contrairement à la majeure partie des Malgaches, ils ne pratiquent pas la circoncision) et en Masikoro (à l’intérieur). De type africain, ils se séparent en plusieurs clans selon le lieu où ils se trouvent : Antimena dans le Menabé, Antimilanja dans le Milanja, etc. Une légende rapporte que le fondateur de cette peuplade était un étranger blanc, probablement un Arabe, venu de l’Isaka au XIVe siècle. Ils ne furent que partiellement soumis aux Merina. Leurs chefs, ou Mpanjaka, ont encore un rôle de premier ordre dans la communauté.

Sihanaka : « Ceux des marais ». Leur territoire s’étend dans le Nord-Est, autour du lac Alaotra, jusqu’au fleuve Mangoro. Probables descendants des Antaisaka et soumis rapidement aux Merina, ils en ont aussi subi les influences, tant spirituelles que physiologiques. Ce sont de bons riziculteurs et pêcheurs.

Tanala : « Ceux de la forêt ». Comme leur nom l’indique, ils vivent au cœur de la grande forêt orientale, près de Ranomafana. Ils pratiquent la culture du riz sur brûlis. Leurs anciens souverains étaient probablement d’origine arabe. Leur résistance contre l’armée de Radama Ier est fameuse dans le pays (notamment le siège qu’ils soutinrent dans le massif de l’Ikongo).

Tsimihety : « Ceux qui ne se coupent pas les cheveux ». Ainsi nommés parce que, contrairement à l’usage commun, ils ne se rasaient pas la tête en signe de deuil. Ils vivent sur la partie nord des hauts plateaux.