Arène de Pula © OPIS Zagreb - Shutterstock.com.jpg
Zadar et son église Saint Donat © DarioZg - Shutterstock.com.jpg
Palais de Dioclétien © Michael Paschos - Shutterstock.com.jpg

Un savoir-faire agricole qui perdure, une organisation administrative en marche

Démétrios, né dans la colonie grecque de Pharos (l'actuelle Hvar), livre l’île aux Romains en 229 av. J.-C. Ils y instaurent leur premier protectorat. Mais les Illyriens, qui étaient là avant, avaient sur place déjà introduit l'écriture, la frappe des monnaies, le commerce, l'agriculture. Depuis ces premières colonisations, la plaine insulaire a gardé la même occupation des sols. Les parcelles géométriques délimitées par des murs de pierres sèches, les petites constructions, les abris de jardin, que les paysans ont retapés avec soin : rien n’a changé. Le système traditionnel de récupération des eaux de pluie fonctionne toujours. Le site nommé Ager fertile est déclaré réserve naturelle par l’Unesco depuis 2008.

Sur les terres ensoleillées de la Dalmatie et de l'Istrie, les Grecs puis les Romains ont introduit l’œnologie et l’ostréiculture. Aujourd’hui, des paysans entreprenants reprennent les méthodes antiques pour produire des vins doux, des huiles aromatisées. Ainsi, le vin de Pharos, que l’on produit à Bastijana (Jelsa/Hvar), ou ce cépage rouge croate, à base de plavac, qui repose une à deux années dans un chai sous-marin, de 18 à 25 m de profondeur. En température constante, les bénéfices de l’immersion du vin en cours de fermentation étaient déjà connus à l’époque antique. Au domaine viticole Edivo Wine situé à Drače (Pelješac), on organise des sorties en mer pour approcher les amphores, entreposées dans l’épave d’un bateau ancien.
Sur l’île de Korčula, on a découvert un fragment de pierre gravée d'un texte grec, qui remonterait au IV ou IIe siècle av. J.-C. Ce décret de loi (psephisma), l’un des plus anciens jamais trouvés en Croatie, régissait le régime de propriété coloniales. Il est conservé au Musée archéologique national de Zagreb. La Pannonie, au nord de la Croatie, vit naître des villes thermales, comme Aquae Iasae, aujourd’hui inclus dans le complexe de bien-être de Varaždinske Toplice, la nécropole de Certissia à Štrbinci, près de Ðakovo, et d'autres colonies à Sisak, Slavonski Brod, Osijek, Vinkovci, où ne subsistent que quelques vestiges.

Trouver un bronze antique aux fonds des mers, le rêve de tout plongeur

Mais le plus incroyable fut la découverte fortuite de René Wouters. Ce touriste belge, plongeur amateur, se trouvait, le 21 juillet 1996, au large de l'îlot Vele Orjule (Mali Losinj) sous 40 m de profondeur. Désirant se stabiliser pour prendre une photo, il s’aperçoit que le rocher sur lequel il s’appuie… une sculpture d'homme recouverte de mollusques et de coraux, couchée sur le flanc, en partie enfouie sous le sable. Trois ans plus tard, on remontera enfin la statue sur la terre ferme. Il s’agissait bien de l’Apoxyomène, non pas une réplique romaine, comme celle du musée du Vatican, mais un original grec datant du VIe ou du IVe siècle av. J.-C. Après restauration, on remarque qu’il ressemble à l’Apoxyomène d'Éphèse. Presque complet – il lui manque juste l’auriculaire de la main gauche et dans un état de conservation exceptionnel –, il est représenté de pied sur sa plinthe antique. L'historien d'art italien, Paolo Moreno, l'attribue à Dédale de Sicyone. Un musée, inauguré en 2017, lui est entièrement dédié à Mali Losinj. Il faut voir ce colosse de 1,94 m, 184 kg, magnifique athlète nu à sa toilette. Il portait un strigile, sorte de racloir avec lequel les sportifs enlevaient le sable et la sueur de leur peau. On ne sait pour l'heure comment il a échoué là. Le géant était-il sur un bateau qui a fait naufrage ? On a trouvé près de lui des jas d'ancre dont étaient équipés les navires romains. En tout cas, cette découverte impressionnante nous permet aujourd’hui d’admirer un des rares grands bronzes antiques si bien conservés.

À partir du IIe siècle, la Rome impériale se stabilise sur le pourtour méditerranéen

Dans les provinces d’Istrie, de Dalmatie et de Pannonie, les autorités républicaines puis impériales romaines organisent les villes selon un plan urbanistique formel, avec une architecture/sculpture typiques de la civilisation hellénistique, confortant leur impérialisme avec les progrès de l’agriculture, la frappe de la monnaie, le respect des cultes, le développement culturel. En Istrie, première région romanisée, on a trouvé de nombreux exemples de style gréco-romain. Par exemple, la villa rurale en bordure de mer avec petit port et dépendances sur l’île de Veli Brijuni, la villa Loron près de l’actuelle localité de Tar-Vabriga ou la colonie de Parentium (Poreč). Sur un site archéologique près d’Omišalj (île de Krk), c’est toute une cité (Fulfinum) qui s’augmentera plus tard d’un complexe paléochrétien (Mirime).

Les monuments romains de Pula, Zadar ou Split sont au cœur des festivités estivales

D’une toute autre ampleur, Pula, la Colonia Iulia Pollentia Herculanea, s’impose déjà comme la capitale, le centre urbain suractif. Au milieu du Ier siècle, on commence les grands travaux dans le chef-lieu de l’Istrie : portes monumentales, véritables arcs de triomphe à la gloire de l’empereur Auguste, place forte, forum, temple, théâtre, autant de bâtiments historiques monumentaux ont traversé deux millénaires. Mais le monument le plus célèbre, c’est bien sûr l’amphithéâtre. Classé sixième plus grand de l’Empire romain, il pouvait contenir jusqu’à 24 000 spectateurs. Aujourd’hui, il joue toujours son rôle. Monument historique très visité, salle de spectacles, à la fois arènes populaires et haut lieu culturel, rendez-vous préférés des locaux et touristes pour les son et lumière du salon multimédia Visualia, les Journées de l'Antiquité, les festivals de films ou de musiques, les concerts de stars internationales, etc.

D’autres sites antiques plus modestes émaillent le littoral et la région dalmate, ainsi l’Augusteum de Narona (Vid, près de Metković), le camp militaire récemment restauré à Burnum/Ivoševci, près de Kistanje et les ruines de l’aqueduc dans le parc national de la rivière Krka.

Le passé glorieux de l’ancienne Iader (Zadar), apparaît d’abord sur le forum, formidable agora, où l’on se donne toujours rendez-vous aujourd’hui. Ouvrant sur ce point central, l’église Saint-Donat, à la formidable acoustique, fut construite au IXe siècle avec des fûts, colonnes et chapiteaux romains trouvés sur place. À Zadar, le musée archéologique est fier de ses cinq grandes statues impériales, admirablement mises en valeur, tout comme les objets moins imposants, tout aussi précieux, du musée du Verre antique, inauguré en 2009. On peut  y observer le travail des artisans, qui restituent devant nos yeux tout l’art des verriers de l’Antiquité.

Le Palais de Dioclétien, unique en son genre

En l’an 303 de notre ère, l’empereur romain Caïus Aurelius Valerius Diocletianus (Dioclétien) se retire en Dalmatie centrale, sa province d'origine. Il se sent affaibli par la maladie. Il juge plus sage de quitter les affaires de l’Empire. C’est sur sa terre natale qu’il veut retourner. Il veut revoir Solina, la ville où il est né. Là, le convalescent retrouve une santé et vit encore neuf années. Pour sa retraite, il se fera construire cette cité rurale, mais c’est surtout pour son palais à Split, face à l'Adriatique, qu’on le retient. À ceux qui à Rome l'implorent de reprendre les commandes de la maison qui brûle, l’homme transformé assure trouver plus de plaisir à cultiver son propre jardin qu’à « gouverner toute la terre ». Ces propos sont rapportés par Lactance, célèbre chroniqueur de l’époque. C'est ainsi que le despote Dioclétien, l’impérialiste impitoyable, finit en philosophe accompli. Ce renoncement au pouvoir reste dans l’histoire comme la première abdication de tous les temps, celle que l’on cite en exemple aux dirigeants de ce monde.

La construction du palais de Dioclétien intra-muros, au plan quadrilatère, tient une place à part parmi les monuments romains. À la fois camp militaire et résidence impériale, doté de dépendances et de puissants soubassements, ce complexe monumental, l’un des mieux conservés de l’Empire, est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. De nos jours, il demeure un centre historique vivant, les Splitois viennent à la criée aux poissons, font leur shopping dans les boutiques-ateliers. Les rues piétonnes fourmillent de visiteurs avides de spectacles sous le péristyle, de galeries d’art, artisans, bars-restaurants-terrasses. Toujours présents, de fiers gladiateurs sont prêts pour la photo souvenir, une troupe de théâtre chaque jour y fait revivre le quotidien de la grande Spalatum.

Pendant l’Antiquité tardive, la magnificence de Byzance brille dans l’Adriatique

Avec l’édit de Milan, signé par Constantin en 313, la persécution des premiers chrétiens prend fin, ce qui favorise la naissance d’une nouvelle forme d’art religieux. La période paléochrétienne se nourrit de la culture hellénistique tout en élevant de nouveaux canons esthétiques, plus hiératiques. La Croatie est riche de plusieurs exemples architecturaux, à Solina, deux basiliques parallèles érigées à la charnière du IVe et du Ve siècle, à Nin (près de Zadar), une église double rurale, dotée d’un baptistère, et plus tard en Istrie.

Au VIe siècle, l’Empire byzantin contrôle toute l’Adriatique, grâce à un système de fortification massif sur la rive orientale de la côte, afin de sécuriser le trafic maritime, ainsi le stratégique castrum de Veli Brijun, dans l’archipel au large de Pula. Mais la grande fierté de la Croatie, c'est le complexe de la basilique Euphrasienne à Poreč. Avec son abside centrale, le baptistère octogonal, l’atrium rectangulaire, de somptueuses mosaïques, cet ensemble épiscopal paléochrétien aussi bien conservé est classé lui aussi au patrimoine mondial de l’Unesco (1997).

La fin du VIe siècle marque le déclin de l’Empire romain d’Orient sur tous ses territoires et l’actuelle Croatie se retrouvera désormais absorbée dans le royaume ostrogoth.